Lucio Fulci

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Interviews / Interviews de Fulci

Ecran Fantastique n°149

Le Sang révélateur

  • Le 01 mai 1996
  • Par John Martin
  • Traduction par Philippe Chambin
  • Paru dans L'Ecran fantastique n°149
  • 5

Il est fascinant que vous ayez pu vous élever à ce statut de réalisateur « auteur » dans le milieu commercial sans pitié, et si soucieux des modes, qu’est celui du cinéma italien, et le préserver.

C’est parce que, comme le disait un critique de cinéma, je suis un « terroriste des genres »… Dès que je travaillais au sein d’un genre, j’avais envie de le changer. J’ai donc gagné très peu d’argent, mais j’ai toujours apprécié de faire mes films. Ma carrière, à défaut de m’enrichir, a fait de moi un homme très, très heureux !

Tout le monde connaît vos films d’horreur, mais même un grand nombre de vos fans ignorent l’écrivain de fiction, l’auteur de chansons, le passionné de jazz que vous êtes. Pouvez-vous nous parler de vos passions au-delà de l’écran ?

J’ai tant de passions qu’il me faut y réfléchir pour ne pas en oublier : j’aime la vie – mais d’une façon morbide, la musique, les animaux… les chats et les chiens. J’avais des chevaux de course aussi, à une époque. J’aime les bateaux. J’ai dépensé des fortunes avec les femmes… (Rires). Tant de choses m’ont procuré du plaisir.
Il y a quelques années, alors que j’avais l’impression d’être sur le point de mourir et que mes filles étaient toutes à la maison, je leur ai dit : « Même si je meurs maintenant, je mourrai heureux car j’ai eu tout ce que je voulais dans la vie. » Je défie un peu le destin en ce moment, car je suis un vieil homme, je vois chaque journée comme un bonus, un nouveau jour important.

Vous avez été étudiant en médecine et aussi critique d’art…

Lorsque j’étais jeune, je fus en effet critique d’art, j’écrivais pour le compte d’un magazine. J’ai bien étudié la médecine durant un certain temps, mais je ne m’entendais pas avec l’un des professeurs, et j’ai renoncé à cette voie – c’est alors que j’ai commencé à travailler dans le cinéma…

Rendiez-vous hommage à Mario Bava dans la scène d’Aenigma où la statue prend vie et massacre un personnage ? C’est très semblable à une scène du film La Vénus d’Ile

Cette scène est due à l’un des autres scénaristes… peut-être avait-il ce film en tête. Je serais très heureux de rendre tout hommage à Mario Bava dans l’un de mes films, car c’était vraiment un maître, et un ami très cher. Aucun éloge ne serait assez grand pour lui !

Bava n’a jamais vraiment été apprécié, jusqu’à sa mort – pensez-vous qu’il en sera de même pour Lucio Fulci ?

Peut-être que c’est mieux ainsi – je disais souvent à mon vieil ami Fellini : « Federico, ils t’ont mis sur un piédestal de ton vivant, mais ils t’oublieront une fois que tu seras mort »… et c’est exactement ce qui s’est passé ! Aussi, maintenant que des gens commencent à écrire des livres sur moi de mon vivant, je ne peux que m’inquiéter.

Vous avez dirigé la « Reine de l’Horreur italienne », Barbara Steele, dans la comédie I Maniaci : comment avez-vous apprécié cette expérience ?

Elle était très douée, mais Fellini a tout gâché, parce qu’après qu’elle ait travaillé pour lui dans 8 1/2, elle a considéré que les films d’épouvante étaient en dessous de sa valeur. C’est une erreur de la part de Fellini de lui avoir mis ça en tête…

Avec Le Miel du diable, vous avez signé un superbe film érotique…

Pour moi, ce n’est pas un film érotique, davantage un psychodrame sur le sadomasochisme. C’est une histoire d’amour et de haine entre deux personnes qui sont marginales.
Un détail important : il était écrit dans le scénario qu’à la fin, lorsqu’ils lisent le poème concernant le miel du diable, la caméra panoterait pendant la scène pour finir sur l’océan… J’ai dit à ma fille de rajouter une arme à feu à la fin du plan. Il allait signifier que même si ces deux personnes forment un couple, ce couple finirait bien par s’entre-tuer. Cette arme à feu changeait complètement le sens de l’histoire.

On a coutume de dire que votre œuvre est inspirée de la culpabilité catholique et de la névrose de la sexualité : comment répondez-vous à cela ?

Je ne crois pas à la névrose – Sigmund Freud a volé l’idée de la névrose à l’église catholique, du confessionnal, pour financer sa dépendance à la cocaïne ! Il faut se souvenir qu’un psychanalyste est le seul médecin qui se fait toujours payer, quels que soient les résultats. J’ai vécu pendant quatre ans avec une psychanalyste très en vogue. Un jour, elle rentre à la maison en claquant la porte et me dit : « Je viens de voir L’Eventreur de New York, tu es un type pervers et violent ! » Cela démontre à quel point les psychanalystes sont idiots, parce qu’en quatre ans, elle n’avait pas réussi à voir à quel point je suis, au contraire, un homme doux. Mais si vous me lancez sur ce sujet, je pourrais poursuivre pendant des heures… En Italie, il y avait ce congrès de psychologues qui avaient étudié le cas d’un serial-killer qui massacrait des enfants, pour découvrir ses motivations. Ils ont conclu que c’étaient les films… les miens, ceux d’Argento, etc… Il disait qu’étant jeune, il assistait à des projections sans que ses parents ne soient au courant. Ils ont fait savoir à la nation toute entière que ces films étaient dangereux, puis ils ont découvert que ce n’était même pas lui le tueur, il avait fait un faux témoignage. Je crois que cela résume tout ce qu’il y a à dire sur eux…

Des gens sont emmurés ou enterrés vivants dans certains de vos films : est-ce l’une de vos propres craintes ? Sinon, de quoi Lucio Fulci a-t-il peur ?

De quoi j’ai peur ? Des informations télévisées ! Mes cauchemars, ou ceux d’Argento, sont imaginaires, mais les infos à la télé montrent des cauchemars réels, vécus au quotidien par de vrais gens. Je n’ai pas peur de la mort, je n’ai pas peur de tueurs masqués… Je n’ai même pas peur de Virginia Wolf ! J’ai juste peur des informations. En fait, ils feraient mieux de censurer ces émissions plutôt que mes films.
A la fin d’une projection en France, une jeune fille en fauteuil roulant m’a dit : « Signor Fulci, merci de m’avoir donné ce cauchemar duquel je peux me réveiller lorsque le film se termine… en quittant la salle, je vais retrouver un cauchemar bien plus effrayant parce que c’est celui de la réalité. »

Comment définiriez-vous le genre du « giallo » qui a eu tant d’influence dans le cinéma d’horreur américain et sur les thrillers ?

«Giallo » est un terme qui n’a pas vraiment de sens, au-delà de la couverture jaune des livres… il serait préférable de parler de « thriller italiens ». L’industrie du film américain recycle tout. Isabella Rossellini me disait un jour que Scorcese possède sept magnétoscopes dans sa maison, chacun relié à un moniteur, et chacun diffusant un film différent. Comme cela, lorsqu’il se déplace d’une pièce à l’autre, il passe de films en films – et ce sont pour la plupart des films italiens.

Qu’avez-vous apporté au développement des thrillers italiens ?

J’ai réduit l’importance de la police, car elle est dérisoire pour le Giallo… Vous pourrez constater que dans mes films et ceux d’Argento, ils forment un personnage minime. Dans La Longue nuit de l’exorcisme, les carabiniers n’arrêtent pas d’être en position d’infériorité, et ça colle plutôt à ce qui se passe en réalité… Je fais une distinction entre les carabiniers et les policiers.

Vous semblez d’accord avec le tueur de La Longue nuit de l’exorcisme sur le fait que les enfants doivent être protégés de la dure réalité de la vie d’adulte – vous ne tuez pas d’enfants, bien sûr, mais dans vos derniers films (comme La Maison près du cimetière et Manhattan Baby), vous les transportez dans une dimension alternative où ils n’ont pas à grandir et où les adultes ne peuvent survivre…

Les enfants évoluent dans une dimension différente, tellement différente que je la considère comme monstrueuse, et c’est pour cela qu’on voit une citation de Henry James à la fin de La Maison près du cimetière. Dans ce film, il y a l’exemple de deux enfants qui se parlent alors qu’ils sont séparés par une grande distance, et c’est une des dimensions monstrueuses auxquelles je faisais allusion.
Lorsque Camilla, ma seconde fille est née, Antonella, son aînée, voulait avoir un petit frère plutôt qu’une sœur, ainsi, elle a essayé par trois fois de tuer Camilla en la plongeant dans la machine à laver !

En plantant le décor de La Longue nuit de l’exorcisme dans l’Italie rurale sous-développée, vous avez pu prendre une position ferme par rapport à la superstition et l’intolérance, à l’encontre de la routine plus traditionnelle. Est-ce vrai, cependant, que le film devait à l’origine se dérouler à Turin ?

Je voulais que cela se passe à Turin, en plein cœur du centre industriel automobile de l’Italie, parmi les travailleurs qui ont migré pour fuir la pauvreté du Sud de l’Italie. Ils avaient conservé leurs vieilles superstitions, les mêmes tabous que ceux qu’ils avaient dans le Sud. Les producteurs ont insisté pour que je tourne dans le Sud, j’ai donc commencé le film sur un plan d’une autoroute, symbole même du progrès qui s’élance dans la campagne, tranchant dans leurs vieilles coutumes… La Longue nuit de l’exorcisme est un film sur le doute et le pêché, peut être le seul giallo avec un thème idéologique, parce que les motivations du tueur sont d’ordre spirituel. Il tue des enfants afin qu’ils ne deviennent pas adultes pour sombrer dans le pêché. Le film débute sur les confessions des enfants et leur visite chez les prostituées. Je considère cet exemple comme étant unique. Je n’ai pas eu un succès mondial avec ce film car il se déroule dans la campagne italienne. Ce fut un succès en Italie, mais dans les pays protestants, il sont un point de vue différent du pêché, par rapport aux pays catholiques… Un concept complètement dissemblable. C’est pour cela que les pays protestants sont plus libéraux.

Vous avez tourné Le Venin de la peur dans la capitale des pays protestants, autrement dit Londres, au cœur des années fastes des « sixties »… On pourrait dire que vous suiviez les traces du Blow Up d’Antonioni.

Je voulais montrer la vie britannique telle qu’elle était lors de cette période importante. Je n’ai pas vraiment été influencé par Blow Up, car bien que je considère Antonioni comme un grand réalisateur, ce film n’est en rien spécial pour moi. J’admets avoir été influencé par bon nombre d’autres réalisateurs et écrivains, mais pas par ce film, et pas par Antonioni. Max Ophüls et Stanley Donen sont les réalisateurs qui ont le plus influencé mon langage cinématographique, car j’ai appliqué leurs techniques – notamment celle du travelling combiné à un zoom – à des films de genre.

Lorsque vous êtes retourné au giallo en 1981 avec L’Eventreur de New York, même certains critiques qui avaient aimé vos films de zombies se sont plaints de ses aspects glauques. Est-ce plus difficile pour le spectateur d’accepter l’ultra-violence dans un contexte de thriller réaliste que dans un film d’horreur gothique, surnaturel ? 

En ce qui me concerne, L’Eventreur de New York n’est pas une œuvre réaliste, car il raconte l’histoire d’un homme qui tue parce que sa fille est condamnée à être une perdante dans un pays vouant un culte au succès. Il a une motivation spirituelle dans ses actes. Chaque excès dans L’Eventreur de New York est donc un excès d’imagination, d’extravagance. Chaque personnage est extrême dans ce film – le flic sort avec des prostituées, le médecin légiste joué par Paolo Marco est un homosexuel accro à l’onanisme, etc… Un critique américain avait écrit : « C’est un film sans salut. » Pour cela, je crois que c’est un film spirituel, bien plus que « réaliste ».

Est-il vrai que vous ayez quitté le plateau de Murderock ?

Non, celui là, j’en suis entièrement responsable. En revanche, comme vous le savez, je n’ai pas terminé Zombi 3. Il a été fini par Bruno Mattei, parce que les producteurs étaient très étranges… Il a fallu que je m’échappe des Philippines en avion !

Dans Les Fantômes de Sodome, les influences démoniaques du nazisme ressurgissent de la tombe. Vous décriviez le traitement du personnage de Bob joué par Giovanni Lombardo Radice dans Frayeurs comme « un cri contre le fascisme », et le lynchage du sorcier dans L’Au-delà nous évoque une séquence de torture de Rome, ville ouverte… Pouvez-vous nous parler de ce thème constant de l’antifascisme dans votre œuvre ?

C’est une excellente question, je suis content que vous me l’ayez posée. Ma famille a toujours été opposée au fascisme, c’est pour cela que la tombe de mon grand-père a été profanée par des fascistes. Je me suis assuré que mes enfants soient bien éduqués par rapport à ces gens. Mon film Les Fantômes de Sodome s’est révélé comme prophétique, car maintenant, les fantômes du fascisme sont vraiment de retour, il y en a même installés au gouvernement. Le personnage de Radice dans Frayeurs est un genre de Forrest Gump, assassiné par le père de cette jeune fille, le plouc américain typique qui n’était pas d’accord avec l’étrange relation que ce garçon entretenait avec sa fille. Les Fantômes de Sodome comporte le même thème que ceux d’entre nous qui ont survécu au fascisme ne veulent pas le voir remettre la main sur l’Italie.

L’œuvre de H. P. Lovecraft a-t-elle eu une influence consciente sur vos films de zombies ?

Non. Lovecraft a son propre univers fantastique, un monde très nordique. L’univers fantastique de Lucio Fulci est tout à l’opposé, c’est un monde très caribéen… Les zombies sont un produit croisé entre le vaudou et le catholicisme.

Nous avons toujours pensé que le personnage du Dr Freudstein dans La Maison près du cimetière était basé sur la nouvelle Air froid de Lovecraft…

Je ne sais pas si vous avez pu le remarquer à cause du doublage, mais la voix de Freudstein est une voix d’enfant. Dans le film original, c’est comme ça, (Fulci prend une voix d’enfant très aiguë tout en imitant la démarche traînante de Freudstein…) comme le cri d’un nouveau-né. Le personnage de Freudstein fut influencé par La Résidence de Narciso Ibanez Serrador, l’histoire d’un gosse qui tue des femmes pour construire sa femme idéale à partir de différents morceaux.

Encore à propos des influences : les dimensions parallèles des enfants dans La Maison près du cimetière et Manhattan Baby étaient-elles inspirées par la série d’histoires d’enfants de C.S. Lewis ?

Non. Il y a un critique en Italie, très mauvais au demeurant, qui m’a accusé d’avoir volé l’histoire de Le Porte del Silenzio d’une nouvelle d’Ambrose Bierce, mais je n’avais jamais entendu parler de cet auteur avant de lire son article. J’ai ensuite découvert qu’il était mort très jeune, en se battant pour Pancho Villa… En bref, les critiques aiment ce genre de comparaisons car cela leur permet de remplir leurs articles de références à d’autres films.

Comment avez-vous trouvé l’idée des protagonistes absorbés par le tableau à la fin de L’Au-delà ?

J’ai pensé qu’après tout, l’au-delà est un désert aride. Socrate disait, avant de boire la ciguë : « Il y a deux soulagements que la mort apporte – l’un est de pouvoir dormir sans rêver, ce qui est un état enviable, et le second est qu’il y a un autre monde, qui doit certainement être meilleur que celui-ci, qui comporte tellement de dangers. »

Vos films de zombies du début des années 80 présentaient la mort comme un événement très physique, avec tous ces corps en décomposition. Dans vos œuvres plus récentes, cependant, la mort est considérée d’un point de vue plus spirituel – fantômes, possessions, esprits agités, etc… Cela reflète-t-il un changement dans votre propre attitude envers votre mortalité ?

Oui, tout à fait. C’est l’intervention du doute dans l’esprit catholique. Mes films les plus importants sont ceux qui traitent du doute. Voix profondes en est un, bien qu’il ait souffert d’un casting médiocre, faute de budget… Le gros problème de mon existence ! Il n’a de fait guère été distribué en dehors de l’Italie. Il raconte l’histoire d’une fille qui enquête sur la mort de son père, car il apparaît régulièrement dans ses rêves… Je pense que les morts survivent seulement dans notre amour, notre mémoire, c’est la seule situation où les morts peuvent survivre. Je me souviens de ma mère, elle survit donc – ce n’est pas important pour moi qu’il y ait cette tombe avec son nom gravé dessus. Elle vit toujours parce que je l’aime. C’est le concept de mon film, que personne n’a compris.

La même année que Voix profondes, vous avez tourné deux téléfilms…

… pour Berlusconi, oui : La Casa Nel Tempo et La Dolce Casa Degli Orrori, mais la compagnie de télévision de Berlusconi ne les a jamais diffusés, car entre-temps, ils avaient diffusé – et essuyé une critique désastreuse – des téléfilms lamentables de Lamberto Bava. Cela a repoussé la diffusion des miens. Il y avait de belles histoires, mais personne ne les a vus en Europe. Ils ont été vendus au Japon. Je suis très célèbre là-bas, vous savez… Ils ont même une salle de cinéma qui porte mon nom !

Comme on entend souvent dire que le cinéma italien plagie les succès du cinéma américain, qu’avez-vous pensé de Running Man, une copie honteuse de votre film 2072 : Les Mercenaires du futur ?

Ils ne font que nous plagier ! La fin de Robocop, par exemple, est reprise de celle de La Maison près du cimetière, où la femme est traînée en bas de l’escalier, sauf qu’ils ont remplacé le monstre par un robot… Verhoeven est un voleur ! J’adore l’autre réalisateur hollandais, Dick Maas, et j’espère qu’il aura une carrière plus brillante que celle de Verhoeven, car les films de ce dernier sont très beaux visuellement, mais très superficiels. La meilleure chose que je puisse dire de lui, c’est qu’il a prouvé que la Panavision est le meilleur format pour regarder Sharon Stone décroiser ses jambes ! Même Wes Craven se met à me copier en imitant Nightmare Concert en l’appelant son New Nightmare, car il s’agit aussi d’un réalisateur obsédé par ses cauchemars. J’ai beaucoup de respect pour Wes Craven, mais il a tellement plus de succès que je ne comprends pas pourquoi il vient copier mon travail ! Nous avions tourné Nightmare Concert en 16mm, et ça n’avait coûté que 100 000 dollars…

Ce film avait été décrit comme le « 8 ½ du gore »…

Oui, c’est une bonne comparaison ! (Rires). Le producteur a détruit tout le sens du film en coupant la dernière scène… Ce producteur avait l’intelligence d’un imbécile ! En Italie, ils ont massacré L’Au-delà en vidéo, ils ont excisé tout le prologue, où le peintre est lynché… Le film démarre du coup lorsque Catriona MacColl arrive à la maison ! Et la scène de l’œil de la fille arraché dans Zombi 2 est complètement passée aux oubliettes…

Même en Italie ?!

En vidéo, oui ! Fabrizio de Angelis n’aime pas ce film, bien que ses recettes lui aient offert un yacht et beaucoup d’autres choses…

Lorsque vous avez annoncé au public que vous comptiez collaborer sur un film avec Dario Argento, il y a eu une réaction phénoménale à l’idée de cette rencontre entre deux géants de l’horreur italien…

C’est la dernière chance de sauver le film d’horreur et de gore italien. Si la combinaison Argento/Fulci n’y parvient pas, alors que nous réserve le futur ? Comment pourrions nous lutter contre les Américains qui font Entretien avec un vampire, Dr Jekill & M. Hyde, et maintenant Jack l’éventreur de Friedkin ? Comment 1 million de dollars pourrait-il rivaliser avec 50 millions ?

Le Masque de cire que vous allez réaliser avec Argento à la production, est un conte d’horreur classique… Quelle nouvelle approche introduirez-vous pour lui permettre de garder toute sa fraîcheur et y mettre votre griffe ?

Tout sera presque changé. Seul l’esprit de l’histoire sera conservé, les personnages sont différents. Nous voulons faire un film très dur, qui repoussera les limites de la censure. Cela se passe au début du siècle, car une personne qui aurait été défigurée par le feu à cette époque n’aurait pas eu comme autre recours que d’utiliser de la cire. En bref, c’est une histoire terrifiante et un très bon scénario que je viens de terminer. Dario a suggéré des ajouts que j’ai inclus. J’espère commencer le tournage bientôt.

A-t-on déjà des informations quant aux acteurs ou aux techniciens ?

C’est une coproduction avec la France, mais nous devons exclusivement faire appel à des acteurs italiens à cause de la situation politique de l’industrie en ce moment… Il y a des sanctions financières si vous faites appel à des étrangers.

Certaines actrices ont travaillé à la fois pour vous et Argento : Marisa Mell, Mimsy Farmer, Veronica Lazar, Ania Pieroni…

Elles sont toutes excellentes… Sauf Pieroni qui était désastreuse ! De toutes les actrices d’Argento, ma préférée est son ex-compagne, Daria Nicolodi. Elle ne tourne plus, mais elle aurait pu être l’une des plus grandes. J’ai un personnage qui serait merveilleux pour elle dans Le Masque de cire, mais je n’ose lui demander d’apparaître dans le film, maintenant qu’ils se sont séparés. Ce serait une intrusion sans scrupules dans la vie privée d’Argento. Les gens pensent que c’est un type froid, mais il a un cœur comme tout le monde, vous savez…

Lors d’une interview, Daria Nicolodi disait qu’elle était l’une de vos fans les plus ferventes…

Lorsque mes relations avec Argento n’étaient pas au beau fixe, voici quinze ans, je ne pouvais l’avoir dans l’un de mes films à cause de cela. Maintenant que nous sommes réconciliés, Argento et moi, je ne peux toujours pas avoir Nicolodi pour ces mêmes raisons. C’est vraiment dommage. De toute façon, je ne crois pas qu’elle travaille encore, car elle a beaucoup souffert du décès de sa fille aînée.

Les gens disent qu’Argento dominait les films qu’il produisait pour Michele Soavi – anticipez-vous une lutte contre lui ?

Je sais être moi-même assez dominateur ! Jusqu’à présent, toute la production s’est bien passée. Dario Argento va commencer le tournage de son propre film, Le Syndrome de Stendhal, avant que je ne commence mon tournage, et nous coopérerons à partir de là. Argento est très intelligent, trop pour ne pas comprendre que je suis plus âgé et plus expérimenté que Soavi. Le temps seul pourra dire ce qu’il adviendra, mais tout va bien pour l’instant. Argento a accepté tout ce qu’il y avait dans mon scénario, et a ajouté certaines idées. Nous devrons attendre. Je vis au jour le jour…

Merci de nous avoir accordé cet entretien… Au fait, contrairement à ce que vous aviez dit, votre film Beatrice Cenci n’a pas complètement disparu : on le voit de temps en temps, tard le soir sur les chaînes britanniques…

C’est l’un des meilleurs films que j’ai fait, mais il n’a eu aucun succès. La version de Shelley de l’histoire de Cenci concerne le fait que les papes médiévaux ne pouvaient pas seulement vous tuer, ils pouvaient aussi maudire votre âme pour l’éternité après avoir détruit votre enveloppe charnelle ! La version de Moravia s’axe plus sur le thème de l’inceste. La mienne est très sombre, et c’est pour cela que je l’aime beaucoup. C’est aussi un film très moderne, avec beaucoup de niveaux différents, de flash-back qui débouchent sur d’autres flash-back, etc… Toutes ces choses que Tarantino fait maintenant. Lorsque Beatrice Cenci est sorti, le public n’était pas prêt pour ces techniques de narration, ils ont jeté des trucs vers l’écran en criant « A mort le réalisateur ! »… Maintenant, ils portent Tarantino en triomphe pour en avoir fait autant. Bon, c’est peut-être un génie, mais je faisais la même chose il y a 25 ans. Peut-être le monde a-t-il finalement rattrapé Lucio Fulci !

Texte reproduit avec l’aimable autorisation d’Alain Schlockoff

5 Commentaires

  1. Jean-Pascal Mattei

    Excellent entretien mené de main de maître par l’indispensable Alain Schlockoff : Fulci, pour qui en douterait encore, s’y révèle un homme de culture, d’émotion et de (vraie) citoyenneté. Celui qui aimait la vie « de façon morbide » réserve aussi quelques piques savoureuses à l’encontre de la psychanalyse, et avoue l’influence admirative de Donen et Ophuls, cinéastes-calligraphes auxquels on ne penserait guère, au premier abord, à l’associer… Enfin, il faut vite réévaluer ses derniers ouvrages, tels Aenigma, Le Miel du diable, Murderock ou Quando Alice ruppe lo specchio – ce que nous faisons dans les commentaires de ces films découverts sur la chaîne du généreux Sebastien Gonzalez :
    https://www.youtube.com/channel/UCVdrmnbiORMI8sIWeQGFkVQ

  2. Lionel Grenier

    Cher Jean-Pascal,
    petite rectification : cet entretien n’a pas été mené par Alain mais par John Martin.
    Merci pour ta participation active dans nos commentaires.

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