Lucio Fulci

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Zombies et Au-delà (version française inédite)

  • Le 01 juin 1993
  • Par Luca Palmerini
  • Traduction par Lionel Grenier
  • Paru dans Giallo Pages n°2
  • 1

Avez-vous eu des problèmes avec Argento et Romero à propos de Zombi 2 (L’Enfer des zombies) ?

Non, pas du tout. Quand Argento s’est plaint parce que j’aurais copié Zombi (Zombies), je lui ai écrit pour lui dire que les zombies existent depuis longtemps au cinéma, même avant Vaudou de Jacques Tourneur. Les zombies viennent d’Haïti et de Cuba, alors Argento n’a rien à dire.

Que pensez-vous d’Argento en tant que cinéaste ?

Je pense que c’est un grand artisan qui se croit artiste, contrairement à Hitchcock un grand artiste qui se croyait artisan. C’est pour ça qu’Argento se répète indéfiniment. Cependant, il est très fort pour l’autopromotion, il a créé cette relation merveilleuse avec un jeune public et dans ses films, il utilise de la musique qui n’a pas de place dans les films d’horreur américains. Bien que je sois fan de la musique moderne, je pense que la musique dans ses films est tirée par les cheveux, comme beaucoup de choses chez lui. Beaucoup pensent que c’est un bon scénariste et un mauvais metteur en scène, mais c’est exactement le contraire !

Est-ce vrai que L’Enfer des zombies a fait 30 millions de dollars ?

Oui, en fait, il a gagné un peu plus d’argent que Zombies, même si le producteur ne me l’a pas dit avant de me faire signer un contrat de cinq films ! Ces films, cependant, sont devenus presque légendaires, comme L’Au-delà par exemple.

Quel message vous souhaitiez transmettre avec ce film ?

Que notre vie est, le plus souvent, un terrible cauchemar, et le seul moyen d’en échapper est de trouver refuge dans ce monde hors du temps… A la fin du film, les deux protagonistes ont ces yeux vides et finissent dans ce désert sans lumière, sans ombre, sans vent… sans rien. Je pense qu’ils ont atteint ce que beaucoup pensent être « L’Au-delà ».
J’ai fait ce film à partir d’un scénario de Dardano Sacchetti qui était quasi-inexistant, alors l’équipe – la même que j’avais sur L’Enfer des zombies – et moi, nous pouvions nous déchaîner complètement. Nous avons fait cinq films ensemble, toujours la même équipe : le directeur de la photographie Salvati, le caméraman Franco Bruni, Lentini le directeur artistique… une équipe fantastique ! Nous travaillions très bien avec le producteur Fabrizio de Angelis de Fulvia Film qui ne se souciait que de vendre le film, rien d’autre ne l’intéressait. Alors, il n’a jamais interféré, et j’étais libre de faire un film sans réelle intrigue, juste des visions, des sensations, des cauchemars… Pour moi, c’était un retour à l’époque du Temps du massacre, ce western hors du temps et de l’espace que j’ai déjà mentionné.

A la fin de Frayeurs, devons-nous comprendre que l’enfant devient aussi un zombie ?

Oui, en fait c’est une idée du monteur. L’enfant revenait en souriant et je n’étais pas certain de la manière de conclure le film, mais le monteur est venu avec cette idée, qui était très bonne, et que je lui dois entièrement.

Vous dîtes que les enfants sont des monstres à la fin de La Maison près du cimetière

Je pense que ce sont des monstres parce qu’ils sont différents, et non pas parce que je pense qu’ils sont méchants ou fous… Mon petit-fils Lele, quand ils avaient 2 ou 3 ans, prenait le téléphone et disait : « Allô, le poisson est-il là ? » Puis, un jour il m’a dit : « Tu sais, je ne téléphone plus parce que le poisson est mort. » Les enfants croient en un monde différent et pour nous, ils sont comme… des extra-terrestres. Nous essayons de les faire entrer dans notre monde, nous essayons de les changer, nous leur faisons peur avec des contes, ce qui est pour moi la chose la plus horrible dans le monde. Les enfants sont des montres mais des monstres gentils… et de toute façon, il n’y a pas de mauvais monstres.

La Maison près du cimetière partage beaucoup de thèmes avec Shining, bien que je suppose que vous ne vous intéressez pas à ce film…

Je n’ai pas aimé Shining parce que, si vous me le demandez, le grand Kubrick, dans ce film, traite de choses qui ne l’intéressent pas. La bonne durée pour un film d’horreur, comme le dit Roger Corman, c’est 1h20. Kubrick développe et étend tout, il va trop dans le fond des choses, dans l’expérimentation. Si le scénario est bon, on doit se jeter à l’eau, aller directement dans le cauchemar… être véritablement professionnel. Mais Kubrick, si vous me le demandez, est tout simplement trop bon pour faire des films d’horreur.

Comment jugez-vous les autres réalisateurs de films d’horreur contemporains ?

Je crois que La Mouche de David Cronenberg a été une étape importante dans le développement du film d’horreur moderne. Notre ami Canadien David a repris des thèmes basiques de Dr Jekyll et Mister Hyde et de La Métamorphose de Kafka, mais il a aussi inclus un élément que le genre avait jusqu’alors négligé : le personnage complètement détruit d’un point de vue humain. Dr Jekyll était un salaud et Hyde est un salaud mais le protagoniste de La Mouche n’est pas un salaud, il est impuissant comme dans Kafka quand l’homme se réveille et qu’il est devenu un gros insecte. Quand Polanski a fait La Métamorphose sur scène à Spoleto, il a mis le personnage principal dans une cage, la cage symbolisant notre incapacité à rétablir notre humanité après qu’elle ait été brisée par la vie. Kafka est un grand écrivain dont on parle plus qu’on ne le lit, mais il mérite d’être lu.

Revenons à votre propre travail. L’Eventreur de New York a perturbé pas mal de gens. Vous avez été accusé de violence sexuelle gratuite…

Ce n’est pas gratuit ! Le film est sur quelqu’un qui tue des belles femmes, des femmes de la classe supérieure qui se comportent comme des putains, des véritables putains, des filles ordinaires, tout ça parce qu’il a un problème : il a une fille qui ne sera jamais une gagnante dans un pays où il y a ce culte du succès. Alors pour lui, tuer ces femmes, c’est tuer le succès. Désolé si ça semble prétentieux mais c’est comme ça que je vois les choses.

Manhattan Baby est peut-être votre film le moins apprécié de vos films fantastiques… c’est justifié ?

Manhattan Baby était le dernier film de mon contrat avec l’excellent producteur, De Angelis, et j’étais obligé de le faire.

Qu’est-ce qui a provoqué la fin de votre collaboration avec le scénariste Dardano Sacchetti ?

Je lui ai raconté l’histoire pour Per Sempre, une sorte de suite du Facteur sonne toujours deux fois qu’il devait écrire et que j’aurais réalisé. Puis j’ai découvert qu’il avait déposé le scénario à son seul nom. Ensuite j’ai découvert qu’il l’avait vendu à mon ami Martino, et à cause de notre amitié, j’ai décidé de ne pas poursuivre Sacchetti, mais j’ai coupé toute relation avec lui… même s’il est un excellent scénariste.

A la suite de votre séparation avec Sacchetti, vous avez fait deux films, 2072 – les mercenaires du futur et Conquest

2072 aurait pu être un plus gros succès, mais en Italie, personne ne s’intéresse à ce genre de films fantastiques. J’ai eu de très bonnes critiques et je ne regrette certainement pas de l’avoir fait. L’histoire derrière Conquest est trouble : j’avais un contrat de deux films avec Giovanni Di Clemente, mais il a été si piètre producteur que, après avoir fini Conquest, j’ai refusé de faire le second. Par conséquent, il a essayé de me poursuivre, mais j’ai gagné le procès parce que la Constitution dit que si on ne veut pas travailler, on n’y est pas obligé.

Comment s’est passée votre collaboration avec Claudio Simonetti qui a fait la musique de Conquest ?

Je ne l’ai jamais vu ! Il a travaillé avec mon monteur et je suis intervenu à la fin pour vérifier le montage final parce qu’à cette époque, j’avais ce procès en cours.

Murderock semble marquer la fin d’une époque…

Ma fille aînée décrit ce film comme un bon téléfilm américain et elle a raison – ce n’est rien d’autre que ça. Oui c’était la fin d’une époque, ma tentative de trouver une nouvelle voie, parce qu’à l’époque, je ressentais le besoin de me renouveler. Au Festival d’Avoriaz, il y a quelques années, je parlais avec Clive Barker et nous discutions de comment l’horreur doit changer, comment il doit acquérir un aspect plus onirique… Ce vieux style d’horreur, si dur et si sauvage, est fini !

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