Lucio Fulci

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Le retour de Lucio Fulci

  • Le 01 avril 1984
  • Par Giuseppe Salza
  • Paru dans L'Ecran fantastique n°44
  • 1

Lucio Fulci, vous êtes resté inactif durant un certain temps ; vous ne recommencez à tourner qu’à présent. Ce retard est-il la conséquence du relatif échec de Manhattan Baby ?

Vous voulez dire qu’il s’agit d’un vrai fiasco ! C’est un film que je n’ai jamais aimé et que j’ai réalisé uniquement pour honorer un contrat. Mais j’ai commis une erreur et ceci a provoqué une véritable crise de genre dans la mesure où j’en suis moi-même l’élément moteur. Selon moi, Manhattan Baby est un film sans grand intérêt que je qualifierai d’incident de parcours.

Le défaut majeur de Manhattan Baby résidait essentiellement dans son scénario plutôt incohérent…

Oui. En fait, c’est un sujet très lâche, mais j’en retiendrai les huit dernières minutes, c’est-à-dire lorsque les oiseaux empaillés prennent vie, se révoltent contre le héros du film et l’agressent jusqu’à lui dévorer le cerveau. Elles sont parmi les meilleures séquences que j’ai jamais tournées, même si elles ne surpassent pas en horreur celle de L’Au-delà.

Les effets spéciaux de Manhattan Baby n’étaient pas de Giannetto De Rossi, le responsable habituel de vos trucages… ?

Non. Pour Manhattan Baby, le responsable des trucages a été Maurizio Trani, l’assistant habituel de Giannetto De Rossi, tandis que les effets spéciaux ont été réalisés par mon équipe traditionnelle avec Giovanni Corridori et les autres. A ce propos, j’ai une anecdote assez amusante à vous raconter. Il s’agit d’une lettre qui m’est parvenue de l’Université de Florence où s’est ouverte une chaire sur l’Histoire du Cinéma. Elle émanait d’une femme, professeur, qui me priait de venir animer un séminaire sur le cinéma d’épouvante parce que de nombreux étudiants voulaient présenter une thèse sur ce genre, ce qui est assez amusant n’est-ce pas ? Mais ce qui est plus amusant encore, c’est qu’elle m’a dit en substance, ceci : « Nous avons mis au programme votre Chat noir. » Entre parenthèse, c’est bien celui de mes films que j’aime le moins ! Je lui demande alors pour quelle raison avoir choisi celui-ci plutôt que L’Au-delàLa Maison près du cimetière ou L’Enfer des zombies par exemple. Elle me répond que Le Chat noir est l’un des seuls films parmi mes films qu’elle connaisse. Quand vous pensez que la télévision privée projette presque chaque jour l’une de mes meilleures œuvres, Le Venin de la peur, un film très important pour comprendre ma carrière, une œuvre totalement onirique, aux frontières de la réalité et de l’imaginaire ! Mais eux  n’en savent rien. Ils n’en ont jamais entendu parler. Ils ne connaissent pas. Par chance, ils ont enregistré un autre de mes films, qui n’a pas très bien marché mais qui est très beau : L’Emmurée vivante. J’en ai parlé une fois avec Brian de Palma qui m’a dit : « Tu sais quel est le défaut de ton film ? D’abord, il est sorti en pleine crise du cinéma italien, lorsque les gens ne bougeaient pas de chez eux de peur des Brigades Rouges. Ensuite, il recèle une parapsychologie passive et non active… » Néanmoins, c’est l’une de mes meilleures œuvres. J’adore ce film.

Il y a quelque temps, on a dit que vous deviez diriger un film intitulé Nero Romano, puis un autre qui se serait appelé End of Eternity. Qu’est-il advenu de ces deux projets ?

Nero Romano est un film que j’avais envisagé bien avant Conan, mais, malheureusement, ce sont les films auxquels on tient le plus qui ne se font pas ! C’est une règle habituelle. A présent, je ne pense pas que je le réaliserai un jour. Comme genre d’histoire, il est un peu dépassé. C’était un récit à la Dashiell Hammett qui se déroulait dans la Rome antique où s’affrontaient le Pouvoir Absolu des Romains et un gigantesque halo de mystère. A mon avis, c’était un sujet extraordinaire. Je ne comprends toujours pas pourquoi il n’a pas pu se faire. Par contre, je ne me souviens absolument pas de End of Eternity. Il s’agit sans doute d’un bruit qui a couru d’une maison de production à une autre, complètement erroné.

Parlons à présent de Conquest, l’un de vos derniers films. Il a connu, je crois, quelques mésaventures…

Conquest a connu de multiples déboires et je suis encore aujourd’hui en procès avec le producteur. Il fut donc distribué avec beaucoup de retard. Et ce film, qui avait été pensé avant que le filon « primitif » envahisse l’Italie, est sorti finalement en dernier ! Conquest est un peu la même chose que Mace – The Outcast dont on avait parlé voilà quelques temps. Nous avons retravaillé sur un sujet de Giovanni Di Clemente qui manquait d’épaisseur. Je me suis préoccupé essentiellement de l’aspect formel afin d’obtenir une histoire style « comics »… une grande BD américaine. Malheureusement, il arrive quelquefois que l’on doive diriger un film que l’on n’aime absolument pas. Mais comme dirait Fritz Lang, il faut faire des films si l’on veut vivre…

La publicité promotionnelle avait annoncé Conquest comme un film abondant en effets spéciaux et en trucages techniques. Ce n’est pas exact…

Pas vraiment. En fait, c’est une œuvre formelle, sans doute le film d’images le plus beau que j’aie jamais fait. A la place de Salvati, mon directeur de la photo, j’ai pris un opérateur espagnol qui s’appelle Alejandro Alonso Garcia. C’est un technicien célèbre qui a réalisé des choses incroyablement audacieuses. Nous avons tourné sans lumière artificielle à l’intérieur de grottes, en jouant seulement avec les seuls effets de lumière phosphorescente. Ce fut un film plein de difficultés. Nous devions surpasser l’aspect troglodytique et tribal des films antérieurs. J’ai donc créé cette grosse B.D. d’héroïc fantasy, avec mes collaborateurs habituels comme le décorateur et costumier Massimo Lentini. Sur ce point, Alonso Garcia a d’ailleurs fait des photos parmi les plus belles que j’ai jamais vues. Les effets spéciaux, par contre, sont très relatifs. Ce sont surtout des effets optiques. Il y a aussi quelques maquillages réalisés par Franco Rufini et Mauro Meniconi. Mais nous avons surtout des effets optiques, des effets scéniques, par exemple ceux où le héros bande un arc magique et lance des flèches de lumière, faites d’énergie pure. Cela est dû naturellement au scénario, dans la mesure où il s’agit d’un film itinérant, basé sur l’amitié entre un homme, voleur et assassin, et un enfant chargé par son père de tuer la sorcière Ocron et un mystérieux seigneur des ténèbres et des non-morts.

Combien de temps a duré le tournage de ce film ?

Très peu. Sept semaines et demie.

Et quel a été le budget ?

Il doit tourner autour de huit cent millions de Lires (quatre millions de francs).

C’est un chiffre qui dépasse légèrement ceux accordés à vos œuvres précédentes.

Mes films précédents ont effectivement coûté un peu moins mais, actuellement, les coûts de production augmentent. La Maison près du cimetière par exemple, a coûté 600 millions de Lires, L’Au-delà, 580 millions, et L’Eventreur de New York, le plus cher, disposait d’un budget de 640 millions. Comme chiffre en soi, ce n’est pas très élevé, mais pour un film d’horreur réalisé en Italie, c’est déjà raisonnable, surtout si l’on considère que, sur huit semaines de tournage, quatre ont été passées aux U.S.A. Savez-vous, par contre, combien a coûté Ténèbres, le précédent Dario Argento ? Deux milliards et quatre cent millions de Lires ! Et neuf semaines de tournage. Voilà, la différence qu’il y a entre Argento et moi, c’est que nous faisons la même chose mais qu’il est plus fortuné que moi dans la proportion de 8 à 19.

Votre plus récent film, qui vient de sortir en Italie, s’intitule : 2072, les mercenaires du futur. Sur l’idée de base, ce film se rattache à des œuvres comme New York 1997 et Rollerball ?

D’assez loin, mais c’est un peu vrai dans la mesure où il se plie aux exigences de ce type de production. L’histoire est celle de jeunes gladiateurs de Rome qui se trouvent mêlés à la lutte que se livrent deux chaînes de télévision en 2072. La violence a désormais obtenu sur les écrans les meilleurs indices de fréquentation. Elles décident donc d’organiser des jeux mortels entre gladiateurs à Rome. C’est pratiquement la symbolisation de la violence comme manière de vivre chez les hommes du futur et l’exaltation de la cruauté comme une volupté de la haine. Le film présente une autre trouvaille supplémentaire puisqu’il se déroule dans la Rome de 2072 que nous avons dépeinte avec le recours à divers effets spéciaux visuels, maquettes, etc… et puis, bizarrement, on découvre soudain que l’histoire comporte quelques-uns de mes thèmes récurrents. La trame est prise dans une intrigue… disons de type thriller, c’est-à-dire que le moteur de cette histoire la rapproche des romans noirs. Il y a la lutte entre les deux chaînes qui veulent augmenter le niveau de la violence, et, en dessous, une autre raison qui veut que soient faites certaines choses…

Pouvez-vous nous préciser d’autres particularités de ce film, du moins sur les aspects techniques ?

Pour ce qui concerne les aspects techniques, nous avons beaucoup travaillé sur maquettes, comme je vous l’ai dit. Un détail très curieux, dois-je avouer, c’est que la seconde équipe était composée des plus anciens techniciens de cinéma d’Italie : la prise de vue fut assurée par Aldo Tonti (Giuseppe Maccari eut la direction de la photographie) et par Nathanson, celui-la même qui a effectué les effets spéciaux des Chaussons Rouges ! (film de Michael Powell et Emeric Pressburger) Vous rendez-vous compte, il a quatre-vingt ans ! Lui et Tonti additionnent à eux deux cent cinquante années ! Et je les ai retenus exprès, parce que je soutiens que les anciens techniciens connaissent des techniques extraordinaires… Je disais l’autre jour à Fellini – nous nous sommes rencontrés à l’occasion d’une présentation de E la nave va – que désormais, au cinéma, on a un peu oublié ce qu’est la technique : les jeunes ne savent plus utiliser le langage. A présent, en Italie, ils font des films sérieux dans lesquels la technique n’intéresse personne, ou bien ils réalisent des comédies, qui sont divertissantes sans doute, mais techniquement très faibles.

Quel fut le budget pour 2072, les mercenaires du futur ?

Aux environs d’un milliard deux cents millions.

Pourquoi le projet de Zombi 3-D a-t-il été soudainement abandonné l’automne dernier ?

Pour des raisons budgétaires ! Nous avons dû y renoncer, puisque le coût de la 3-D élevait le budget initial dans des proportions vraiment impossibles ! Nous avons envoyé aux U.S.A. quelques-uns de nos techniciens pour leur apprendre la façon de filmer en 3-D, auprès des meilleurs spécialistes du genre. Malheureusement, lors de leur retour, nous avons appris que le budget de Zombi 3-D aurait triplé son coût initial : ceci est dû au fait qu’un tournage en 3-D nécessite des techniques bien plus délicates et une constante précision, ne serait-ce qu’au niveau des effets spéciaux.

Et vos prochains projets après ce film ?

Je dois tourner un film intitulé Blastfighter qui est un western futuriste dans lequel je reprends tous les thèmes du western traditionnel pour les rassembler dans un univers post-cataclysmique où il faudra retrouver la vieille frontière du western classique et également la confiance renouvelée dans l’Homme. C’est un film que j’aime dans l’absolu… son scénario est extraordinaire. Ce sera un film avec des citations western insérées non pas par jeu mais bien pour une raison déterminée. Mais pour l’instant, je termine un projet qui me plait beaucoup et que, pour diverses raisons, je n’avais pu encore réaliser. C’est un film noir intitulé Murder Rock, qui présentera une structure traditionnelle, avec une trame émaillée de nombreux homicides et de faux assassinats. Murder Rock, c’est un giallo conduit au pas de danse et par la musique dans le cadre d’une école de danse ! C’est l’histoire d’une femme qui rêve toutes les nuits d’un étrange tueur. Au bout de quelques temps, alors que l’on pense qu’elle n’est seulement victime que de cauchemars, le tueur frappe vraiment, avec toute la violence perpétrée dans ces rêves ! La musique a été confiée à Keith Emerson, déjà responsable de celle d’Inferno. Le budget de Murder Rock est de 700 millions de Lires, un coût normal. Le film sera aussi assez proche de L’Emmurée vivante, très onirique.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation d’Alain Schlockoff

One Comment

  1. Jean-Pascal Mattei

    Voici ce que nous écrivons sur Murderock :
    « Fulci revient à New York, terrain de jeux des éventreurs et des zombies, pour un beau portrait de femme porté par l’aristocratique et fidèle Olga Karlatos, qu’il magnifie. Giallo déguisé en comédie musicale, sur l’insistance des producteurs, il devait constituer le premier volet d’une trilogie qui ne vit jamais le jour, suite aux problèmes de santé du maestro. Entre ombres et lumières, prisonnières des miroirs, des caméras de surveillance et des fantasmes masculins, des danseuses blondes et brunes, tout droit sorties de Perfect plutôt que de Suspiria, animent une fable contradictoire sur l’immobilisme et le traumatisme, sur le passé dévorant l’avenir, sur l’art mortel, littéralement, pour la vie, sur le rêve (prémonitoire et véridique) lié à la folie et au déni. La chorégraphe et la gamine infirme partagent le même handicap, et le cinéaste confère à son enquête funèbre une dimension d’aveu autobiographique en rapport avec une (fausse) misogynie souvent reprochée : il ne hait pas les femmes mais ne les comprend pas – bien qu’il les filme superbement, lors des deux sommets de l’oeuvre (la danse au cabaret, la révélation finale dans la salle de régie)… »
    https://www.youtube.com/watch?v=JxSoQeHK3KI

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