Lucio Fulci

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Interviews / Interviews autour de Fulci

Michele de Angelis

Michele de Angelis – assistant réalisateur (Soupçons de mort, La Casa nel Tempo, etc.)

  • Le 03 avril 2012
  • Par Adrien Clerc
  • Traduction par Adrien Clerc, Lionel Grenier
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Michele De Angelis a travaillé avec Lucio Fulci sur plusieurs projets à la fin des années 80. Il avait alors une vingtaine d’années et une passion immodérée pour le cinéma, passion qui l’anime toujours. C’est avec plaisir qu’il a accepté de répondre à nos questions sur celui qu’il appelle son « maître ». Il s’est même proposé de partir à la recherche des Polaroïds pris sur les plateaux de Fulci, des vieux souvenirs qu’il n’avait plus ressorti depuis des lustres. Ce sont ces images, prises par Michele, qui accompagnent l’entretien.

Michele de Angelis, vous étiez très jeune quand vous avez rencontré Fulci pour la première fois. Vous pourriez nous expliquer comment vous avez fait sa connaissance?

J’avais été engagé comme assistant réalisateur sur des films que Fulci devait réaliser. Il devait en réaliser deux, dans un premier temps. Avant même que les tournages de Fulci aient débuté nous avons eu un problème avec un réalisateur, son film était vraiment mauvais mais surtout vraiment trop court! On a demandé à Fulci de remettre les choses en ordre. Je me suis proposé pour aller le chercher chez lui vers 6h30, le matin, il y avait 45km pour l’amener sur le plateau. Personne ne voulait vraiment lui servir de chauffeur, c’était trop loin pour eux, mais je voulais tant le rencontrer que ça me semblait une bonne affaire. Le premier jour, je me souviens lui avoir posé une tonne de questions, « comment avez-vous fait ce plan ? », « comment avez-vous réussi à assembler cette séquence ? », ce genre de choses. Il est sorti de la voiture, est allé voir directement les producteurs, et leur a demandé: « Putain, c’est qui ce type ? » avant de faire en sorte que je vienne le chercher tous les matins, et que je le ramène tous les soirs. Pour moi c’était carrément l’enfer, je bossais entre 15 et 18 heures par jour, mais c’était trop intéressant pour que j’abandonne. Une occasion unique d’avoir d’extraordinaires conversations avec lui, sur l’art, sur le cinéma… même sur le football !

Vous vous souvenez du film sur lequel Fulci termina le tournage ?

Bien sûr. Il s’agit d’Hansel e Gretel de Giovanni Simonelli. Le film était trop court. Je ne sais pas ce que le réalisateur et les producteurs avaient dans la tête, mais ils n’ont pas pris pas la peine de se demander combien de temps durerait le film qu’on tirerait du scénario. Celui-ci était bien trop court. Lucio Fulci a travaillé sur un certain nombre de séquences supplémentaires, durant une semaine entière de tournage si je me souviens bien ; certains plans impliquant des effets spéciaux. Simonelli était un vieil homme à l’époque, et il n’était pas très intéressé par son film. En fait il s’en foutait ! Je me souviens qu’un jour nous étions sur le plateau, prêts à tourner, tout en place, et nous n’attendions que les directives du réalisateur… qui avait disparu. Après quelques recherches, il a été localisé dans les caves de la villa où nous tournions, en train d’admirer des bouteilles de vin anciennes. Son fils, le directeur de la production, ne faisait lui aussi qu’apparaître et disparaître… c’était marrant.

C’est avec Giovanni Simonelli, d’ailleurs, que Fulci a écrit un peu plus tard le premier traitement de Nightmare Concert. Quelles étaient les relations entre ces deux vétérans du cinéma populaire italien ?

Je crois que Simonelli n’avait pas grand-chose en commun avec Fulci. Il avait plutôt une relation privilégiée avec les producteurs. Je crois qu’il était là pour s’assurer que le travail de Fulci avançait et restait sous contrôle. Mais selon moi, la plupart des bonnes idées de Nightmare Concert proviennent de la réécriture effectuée par Antonio Tentori.

J’ai cru comprendre que vous étiez assistant réalisateur sur Soupçons de mort, même si vous n’êtes pas crédité ainsi au générique du film ?

J’étais assistant sur ce film, du moins au début. J’ai eu des différents avec la production au cours du tournage, et j’ai pris le parti de Fulci en quelques occasions. Ils me détestaient. Je me souviens du production manager me disant, le dernier jour du tournage: « Bravo pour tous les projets futurs que tu vas faire avec Fulci… et surtout pas avec nous ! »… Ma seule réponse fut « Dieu merci ! ».

Soupçons de mort a un tout petit budget, mais il reste assez impressionnant. C’est un film assez différent des grands films d’horreur pour lesquels Fulci est connu, avec un certain réalisme et un humour noir omniprésent. Vous vous souvenez si Fulci a expliqué ses intentions à l’équipe avant le tournage ?

Oh, non, pas à l’équipe entière, juste aux acteurs, à moi, et à la scripte, sa fille Camilla. Ce film rendait tellement mieux sur le papier, il aurait dû être superbe, tout comme NHF, un projet qui ne fut jamais tourné. Le problème, c’était la production… on ne peut même pas dire que c’était un petit budget, c’était un budget misérable. Ils ne nous donnaient rien. Concernant l’humour noir, c’était vraiment un aspect important de la personnalité du Fulci que j’ai connu. Il était très drôle, mais avec toujours une pointe de vitriole.

Vous souvenez-vous de la durée du tournage, de difficultés éventuelles ?

Le tournage de Soupçons de mort a duré moins de 3 semaines, plutôt 2 semaines et demie. Dans l’ensemble, ce fut un tournage facile, tout simplement parce que Fulci savait toujours exactement ce qu’il voulait, et comment il pourrait l’obtenir. Dans certains cas, quand c’était impossible de réaliser ce qui était prévu, il était même capable d’improviser des choses très réussies, c’était donc assez facile d’avancer.

La même année, vous avez travaillé avec Fulci sur Les Fantômes de Sodome, qui est moins réussi que Soupçons de mort. Est-ce qu’il y a eu des différences entre les deux tournages ?

Même production, mêmes problèmes ! Les Fantômes de Sodome fut tourné avant Soupçons de mort, bien que sa sortie fût plus tardive. Je crois qu’ils ont dépensé un peu plus d’argent sur Les Fantômes de Sodome. De projet en projet, les choses empiraient…

Certaines idées des Fantômes de Sodome rappellent, toutes proportions gardées, un chef-d’œuvre du cinéma italien, le dernier film de Pasolini, Salò ou les 120 jours de Sodome. Les deux films se déroulent dans une grande demeure, et organisent la rencontre de la jeunesse avec le fascisme. Est-ce que Fulci vous a parlé de cet aspect du film ?

Non, pas du tout, il n’a jamais fait mention d’un lien avec le film de Pasolini. En revanche, Il m’a expliqué très clairement qu’il voulait filmer la perversion qui gangrène les pouvoirs en déclin, la manière dont se perd le pouvoir.

Brett Halsey - Soupçons de mort

Brett Halsey – Soupçons de mort

Vous pouvez nous en dire plus sur NHF, le projet inachevé que vous avez évoqué ?

NHF, No Human Factor aurait dû être un autre film dans la série « Lucio Fulci présente ». Lucio aurait réalisé le film, le tournage était prévu dans une partie étrange de Rome, qui s’appelle Laurentino 28. Un quartier récent, hideux, bâti durant les années soixante, avec d’immenses immeubles monolithiques. L’histoire se situait dans le futur, une sorte de Blade Runner avec des personnages qui n’étaient pas humains mais synthétiques. Je me souviens que le projet était vraiment séduisant. Mais avec tous les problèmes que nous avons eu avec la production, Alfa Cinematografica, il aurait été impossible de faire un bon film de science-fiction. Sans un budget conséquent… C’est d’ailleurs à cause de NHF que Lucio a rompu son contrat sur la série. Il devait faire 4 ou 5 films, il n’en tournera que 2. Je crois qu’ensuite ils sont tombés d’accord pour que Fulci réalise Nightmare Concert, qui contient des séquences entières de films de la série, pour éviter un procès.

Lorsque vous parlez de problèmes de productions, il s’agit uniquement des budgets ? Est-ce que ceux-ci étaient prévus pour être plus importants lors de la signature du contrat ?

En fait les budgets descendaient tandis que les films passaient d’un producteur à un autre, puis un autre… Scena Films fit passer le projet chez Alfa Cinematografica, qui chargea deux producteurs du projet, des types qu’on surnommait « le chat et le renard ». Quand ils débarquaient sur le plateau, ça chuchotait « attention aux pickpockets ». Des 700 millions de lires prévues à l’origine par film, nous avons tourné avec une somme allant de 210 à 300 millions selon les films.

Au fait, puisque vous avez travaillé sur d’autres films de cette série, pourriez-vous nous dire si les tournages avec Mario et Andrea Bianchi étaient différents de ceux de Fulci ?

Les tournages étaient différents pour une raison simple : les réalisateurs n’étaient pas vraiment impliqués dans leurs films. Cependant je m’entendais bien avec Andrea Bianchi, c’est grâce à lui que j’ai pu entrer dans l’industrie du cinéma, c’est lui qui m’a fait venir comme assistant réalisateur sur la série « Lucio Fulci Présente ». Mario était un homme sympathique, mais en ce qui concerne son film, il n’en avait rien à tamponner. Il voulait juste tourner le plus vite possible, tout mettre en boîte le plus vite possible. Son film est le seul sur lequel j’ai travaillé où toute l’équipe rentrait à la maison pour trois heures pétantes.

Pour en revenir à Fulci, comment se comportait-il avec les acteurs? La rumeur veut qu’il s’entendait mieux avec les actrices qu’avec les acteurs…

Il était extraordinaire avec les gens talentueux. Il était très impressionné, par exemple, par Jessica Moore qui cherchait à l’époque à sortir de l’image publique qu’elle avait après 11 jours, 11 nuits de Joe d’Amato. Elle était plutôt bonne et il l’encourageait beaucoup à étudier et à ne pas abandonner. Avec d’autres, notamment les moins bons, qui sont souvent les plus arrogants, il était un terrible. Il détestait les gens sans talent qui, sur ses tournages, la ramenaient. Assez régulièrement, il disait des choses comme « La prise est bonne, tu gagnes un os à moelle. » En italien, on dit « être un chien » pour dire « n’avoir aucun talent ». De manière générale, Fulci s’investissait dans trois relations sur un plateau : celle avec ses acteurs, celle avec son directeur de la photographie, celle avec son assistant.

Vous avez travaillé sur les deux projets suivants de Lucio Fulci, les deux « House » de la mini-série tournée pour Reteitalia. Cette fois vous êtes crédité comme assistant réalisateur, aux cotés de Camilla Fulci. Qui faisait quoi entre vous et Camilla ?

Camilla voulait devenir réalisatrice à l’époque, et c’est pourquoi elle est créditée comme assistante réalisatrice. Mais elle était toujours script, en fait. Lucio voulait qu’elle devienne la première réalisatrice de film d’horreur en Europe.

Comment était Camilla Fulci, d’ailleurs ?

Je m’entendais très bien avec Camilla, en fait. C’était une fille très problématique, je ne sais pas, elle était comme tourmentée par quelque chose de souterrain. Je ne sais pas ce qui s’est passé ensuite, mais elle a coupé les ponts avec sa famille et le milieu du cinéma, et je ne l’ai pas revu après les films que nous avons faits ensemble. À cette époque, en tout cas, elle s’entendait très bien avec son père.

Lequel des deux « House » fut tourné en premier ?

Les deux films d’un coup, directement à la suite l’un de l’autre, dans des conditions bien meilleures que celles sur la série « Lucio Fulci Présente ». Si je ne me trompe pas, nous avons d’abord fait La Dolce Casa degli Orrori, puis La Casa nel Tempo.

Brett Halsey et Silvano Tessicini - Soupçons de mort

Brett Halsey et Silvano Tessicini – Soupçons de mort

La Casa nel Tempo est un superbe petit film, qui se rapproche des propositions métaphysiques des chef-d’œuvres de Fulci, et qui rappelle le travail de Giorgio De Chirico. Vous savez ce que Fulci voulait faire avec ce film ?

Il faut savoir que Lucio était un grand amateur d’art, un amoureux de l’art. Il avait fréquenté une élite artistique, durant les années 50 et 60, des personnes qui dominaient la pensée dans le monde de l’art. Il connaissait personnellement un certain nombre de peintres importants, et Chirico en était certainement. Il voulait faire un film métaphysique car il était fasciné par le passage du temps et la destruction de la narration cinématographique classique. Comme vous le savez sans doute, il était très influencé par Antonin Artaud en ce qui concerne la structure de ses films, qui étaient en apparence assez chaotique mais qui de manière singulière terminaient toujours par former un tout cohérent.

Quand on regarde La Casa nel Tempo en DVD, on est en droit de se demander si le film était plus beau lorsqu’il fut diffusé pour la première fois, par rapport aux contrastes et aux couleurs, en particulier. Est-ce que vous savez si il existe une plus belle copie que celle disponible sur le dvd ?

Puisque les films étaient destinés à la télévision, ils ont certainement été éclaircis avant leur diffusion. Ce serait super de retourner aux matériaux originaux, en 16mm, pour faire de nouveaux masters et une nouvelle colorimétrie.

En revanche, La Dolce Casa degli Orrori est moins bon…

Je crois qu’il préférait La Casa nel Tempo, mais il était vraiment content des deux, en particulier à cause de l’expérience cauchemardesque des films précédents.

Il a souvent été dit que Fulci travaillait, un peu comme Hitchcock, en prévoyant le montage final au moment du tournage, et en tournant le moins possible d’images – ce que l’on appelle « montage dans la caméra ». Il ne couvrait jamais une séquence ?

Je ne sais pas, mais il savait toujours où mettre la caméra, alors s’il improvisait j’aimerais beaucoup pouvoir en faire de même! Il montait le film dans la caméra, pour éviter aux producteurs de s’emparer de ses images. Il favorisait toujours de longs travellings, sur rails ou sur grue, c’était si beau à voir… Il savait exactement ce qu’il voulait, alors il ne perdait pas son temps à multiplier les plans et les angles de prise de vue. Fulci tournait juste le nécessaire, et ça s’agençait à la perfection.

Ces deux films semblent partager quelque chose au niveau de leur structure : ils s’ouvrent sur des images très ancrées dans le réel, avant de brutalement chavirer vers des univers plus fantastiques. Lors du tournage, y avait-il des différences au niveau de l’approche de ces séquences ?

C’était effectivement un point qui comptait beaucoup pour Fulci, sans doute sa principale motivation sur ces deux films. Sur Soupçons de mort aussi, on part sur un film réaliste, sur un serial killer, avant d’entrer dans des zones franchement surréalistes… je crois qu’il voulait vraiment surprendre, déconcerter le spectateur, mais qu’il voulait aussi que cela se fasse de manière insensible : comme vous l’avez vu, l’image ne change pas radicalement entre les différentes parties des films.

Le directeur de la photographie sur les « Casa » est Nino Celeste, un homme qui a travaillé à la télévision mais qui a eu des expériences avec Bava et Martino. Comment lui et Fulci travaillait-il ensemble ?

Très bien. Celeste était en fait un bon directeur photo, rapide et capable de belles choses.

Sasha Darwin - Soupçons de mort

Sasha Darwin – Soupçons de mort

Pourquoi vous arrêtez soudainement de travailler avec Fulci, après les « Casa » ?

Lucio avait une personnalité très dominatrice, si vous travailliez pour lui, vous travailliez pour lui et personne d’autre. Je voulais travailler sur d’autres projets, et cela l’a beaucoup énervé. Il ne m’a plus adressé la parole pendant un moment, et puis les choses sont rentrées dans l’ordre. Il a notamment assisté à une rétrospective sur le cinéma horrifique italien, manifestation que je dirigeais, et il y consacra même un article pour un journal important dans lequel il avait ses entrées.

Que pensez-vous de ces films, en les regardant, vingt ans après, comme cinéphile ?

Je les aime, malgré tous les défauts qu’ils contiennent en raison de limites budgétaires. Je les aime sans réserve.

Y a-t-il quelque chose que vous voudriez ajouter sur ces films, un souvenir marquant ?

Ces films furent mon école de cinéma. J’ai appris sur leurs tournages des choses que l’on ne peut découvrir dans une salle de classe. La meilleure école de cinéma, c’est de regarder de grands professionnels travailler, puis de regarder le plus de films possibles, des débuts du cinéma muet à nos jours. Certains jeunes, qui pourtant aiment le cinéma, ne se rendent pas compte qu’il y a eu une histoire avant John Woo et Quentin Tarantino.

Vous avez un film favori dans la filmographie de Lucio Fulci ?

C’est une question difficile. Probablement La Longue nuit de l’exorcisme, puis L’Emmurée vivante, Le Venin de la peur, Frayeurs, L’Au-delà et La Maison près du cimetière, ces derniers plus ou moins sur le même niveau.

La dernière question s’éloigne un peu de Fulci, mais seulement un peu. Vous avez les droits pour une adaptation de Ritual, de Graham Masterton, un auteur dont l’approche des univers lovecraftiens rappelle parfois les chef-d’œuvres de Fulci. Mariano Baino est prévu au poste de réalisateur. Vous pouvez nous en dire deux mots ?

C’est un film que nous voulons faire depuis un certain temps. Le problème, c’est le budget : je n’ai pas encore réussi à réunir assez d’argent, et nous voulons une star américaine dans le film. Je vais continuer d’essayer de faire en sorte que cela se fasse. Le scénario est extraordinaire, encore meilleur que le livre original selon moi. J’espère que vous pourrez voir cela sur un grand écran, un jour…

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