Lucio Fulci

MENU

Interviews / Interviews de Fulci

ecran_fantastique22

Entretien avec Lucio Fulci

  • Le 01 janvier 1982
  • Par Robert Schlockoff
  • Paru dans L'Ecran fantastique n°22
  • 1

Avec les présentations successives au Festival de Paris de FrayeursL’Emmurée vivanteLe Chat noir et La Maison près du cimetière, on vous considère en France comme un des grands noms du fantastique ; qu’en est-il en Italie ?

Le jeune public vient voir mes films en Italie, mais les critiques ont une position assez spéciale : je vous rappelle que l’année dernière, j’avais déclaré être enchanté par l’accueil du public français à mon égard, et je dois dire que cette année, je suis encore étonné par la chaleur avec laquelle m’a reçu ce public. Mais un critique italien, à la suite de cela, a écrit l’an dernier que « Etant donné le succès de Fulci en France, nous allons devoir prendre nos distances par rapport à cet artisan. Si la photo et la direction artistique de ses films restent excellentes, il n’est après tout qu’un artisan. » Mais je suis heureux d’être un artisan ! Bava, Raoul Walsh et Hitchcock étaient aussi des artisans ! C’est intéressant de voir à quel point mon succès ici en France s’est répercuté en Italie par la jalousie des critiques. Comme le dit mon ami Elio Petri : « Tout le cinéma change, la technique, les acteurs, le style… il n’y a que les critiques italiens qui ne changent pas ! »

Vous vous considérez donc comme un artisan ?

Absolument, le film est le produit d’une équipe dont les artistes sont en fait les techniciens, ce sont eux qui créent. Prenons l’exemple de Ridley Scott qui m’avait confié tous les problèmes qu’il avait eu pour faire jouer le chat dans Alien. Pour Le Chat noir, nous avons construit un chat en plastique à qui on a fait faire tous les mouvements voulus : la seconde équipe a tourné sept mille mètres de pellicule où nous avons étudié tous les mouvements possibles de ce chat. Et en incorporant les plans de cette poupée animée et du vrai chat, le film fut terminé en sept semaines, et non 20 ou 30 comme Alien. C’est pourquoi que je dis que nous sommes une équipe d’artisans travaillant ensemble, il n’y a pas de « diva » ou de star chez nous et les acteurs et l’équipe technique s’intègrent parfaitement bien ensemble.
Le cinéma fantastique est un grand problème en Italie : tous les films qui sortent chez nous sont des comédies, il nous faudrait une production de 30 films fantastiques par an pour voir apparaître un jeune génie comme aux USA, John Carpenter. Mais, en dehors de mes films, seuls sortent un ou deux films fantastiques par an, nous sommes isolés en Italie : Mario Bava est mort, Freda ne fait plus rien, Lamberto Bava essaie toujours désespérément de mettre en chantier son nouveau film…

Parlons un peu du Chat noir qui constitue une nouvelle expérience pour vous ; ce film a d’ailleurs un aspect très anglo-saxon…

J’ai tourné ce film en hommage à Roger Corman, bien que je lui en veuille beaucoup de n’avoir réalisé qu’un sketch à partir de la nouvelle du Chat noir (N.B : pour le film Tales of Terror) alors que moi, j’ai dû en faire tout un film ! (Rires).
En fait, ce qui m’a surtout intéressé à travers Le Chat noir, c’est de commenter les rapports entre cet homme et le chat. Ce dernier est comme la maison intérieure de l’homme. Les deux personnages sont identiques, même si le chat va vaincre : il est peut être cruel, mais n’est après tout que le juge de cet homme, sa conscience. Cet homme déteste son chat, mais comme dans la nouvelle, il ne peut le tuer, car comment tuer sa propre âme malade, torturée ? Impossible. Nous essayons souvent de tuer notre mauvaise conscience, sans jamais y arriver.
Il y a également ce thème de l’emprisonnement inhérent à Poe et qui me fascine. Pour moi, c’est le thème le plus angoissant qui soit. Le Chat noir, c’est donc ce thème et également la résolution philosophique qui est de dire que ce chat représente l’esprit malfaisant de Patrick Magee.

Quel genre d’homme est Patrick Magee ?

C’est un acteur merveilleux mais le tournage avec lui fut extrêmement fatiguant, car cet homme a beaucoup de problèmes personnels ; je n’ai pas eu tellement de collaboration de sa part, je dois même dire que j’ai eu avec lui des difficultés incroyables, mais le résultat est juste, car en tant qu’acteur je n’ai rien à redire… Il est d’ailleurs avant tout un homme de théâtre. Je crois que Patrick Magee convenait parfaitement à ce film auquel je voulais donner la coloration d’un film anglais d’atmosphère, non d’horreur. Mimsy Farmer, au contraire, est formidable, elle est très sympathique et aussi une très bonne actrice pour ce genre de films.
Les producteurs on essayé de la lancer en Italie il y a quelques années comme la « leading american woman in Italy », mais étant donné  que des films comme Le Chat noir sont rares dans notre pays, je crois qu’elle n’a pas tourné de nouveaux films depuis l’année dernière.

Les actrices ont une part prépondérante dans vos films…

Hitchcock avait dit : « Je n’aurais pas tourné autant de films si je n’avais pas eu à chaque fois une blonde en péril ! » Et moi aussi, j’engage des femmes aussi blondes que Kim Novak, Tippi Hedren : Catriona, et pour L’Eventreur de New York, une jeune française d’une vingtaine d’années, Almanta Suska – elle a un nom vraiment impossible !

L’Eventreur de New York, c’est donc votre nouveau film dont le tournage vient de s’achever ?

Oui, c’est l’histoire d’un tueur fou qui commet des crimes terribles à New York, mais le film est en partie fantastique, ne serait-ce parce que la police doit retrouver ce fou parmi 20 millions de new-yorkais. Il y aura beaucoup moins d’horreur que dans mes précédents films, pas de morts-vivants ici, mais un tueur avec un problème humain et qui « travaille » dans l’ombre. Le cadre du film est volontairement traditionnel, mon but, tout en voulant réaliser un nouveau type de « thriller », était de rendre hommage à Hitchcock, mon grand maître. L’Eventreur de New York, c’est en quelque sorte Hitchcock « revisité », un film fantastique avec une intrigue, de la violence, et un aspect sexuel important.

Tout le film fut tourné à New York ?

Oui, nous avons tourné quatre semaines à New York et avons eu beaucoup de difficultés, car nous nous heurtions sans arrêt aux syndicats et ce n’est pas une mince affaire que d’envoyer une équipe italienne tourner un film à petit budget à New York. A l’origine, nous avions pensé à Boston, à cause du célèbre « étrangleur » qui hanta cette ville à une époque, mais New York qui est une ville à la fois monstrueuse et fascinante, me paraît mieux adaptée. Il m’a semblé que projeter le personnage de l’éventreur dans cette ville lui donnerait un caractère plus intriguant, fantastique…

Parlons de La Maison près du cimetière… On vous a accusé d’avoir copié Amityville Horror.

Cela est faux : dans Amityville, on se trouve en présence de quelque chose d’inconnu qui terrorise ses habitants, tandis que dans  La Maison près du cimetière, le secret est réellement révélé à la fin : ce monstre qui est une mosaïque de morceaux de cadavres ! J’ai en fait été influencé, pour ce film, par la nouvelle d’Henry James, Le Tour d’écrou, et l’adaptation cinématographique de Jack Clayton, Les Innocents. C’est pourquoi il est dit à la fin cette phrase de James : « Les enfants sont-ils des monstres ou les monstres seraient-ils des enfants ? » Car il est possible que tout ce qui est raconté dans le film se soit en fait déroulé dans l’imagination du petit garçon, y compris la mort de ses parents. Il est également possible que le spectateur voie le film comme une sorte de cycle, les événements se reproduisant dans ce film se répétant depuis des années.

Les enfants ont une aura très fantastique dans ce film.

Evidemment, ainsi cette scène où les deux enfants se parlent à voix basse et se comprenne parfaitement alors qu’ils sont éloignés par des centaines de mètres de distance : tout est possible dans le monde des enfants, ils ne vivent pas avec les mêmes limites que l’homme, ni avec les mêmes interdits, ce qui explique pourquoi le petit garçon, malgré les cris du public au festival, va chercher dans la cave, avec la détermination et l’inconscience propres aux enfants, la tête de la baby-sitter. L’enfant n’a pas peur comme les adultes, il n’a pas les mêmes blocages. Et le dialogue entre ces deux enfants se situe dans un espace différent de celui des adultes. Les enfants, comme les monstres, ont une longueur d’ondes différente de la nôtre. Nous ne comprenons pas les enfants, leur fantaisie. C’est pour cela que mon film puise directement dans l’œuvre d’Henry James, non, comme on me l’a reproché, dans Shining : dans ce film, il y avait une complicité entre un enfant et un adulte, l’ancien chef-cuisinier du Overlook Hotel. Mais dans La Maison près du cimetière, les adultes n’ont aucune espèce d’importance, je me fiche pas mal du type qui devient fou dans Shining. De toue façon, je déteste Shining que je trouve raté : Kubrick est un homme très froid et des films comme Orange Mécanique ou Les Sentiers de la gloire étaient réussis parce que le langage froid correspondait au sujet. Kubrick est un génie, mais il n’est pas fait pour le cinéma d’épouvante, son film manque d’émotions. Pour en revenir aux enfants de La Maison près du cimetière, ils n’agissent pas comme les adultes, Paolo Malco qui, avec son esprit rationnel, va essayer de percer le secret de la cave et sera assassiné, tandis que l’enfant retourne dans le pays d’où il vient, celui de l’au-delà, une nouvelle dimension que l’on peut interpréter comme le monde de la mort, celui où, comme le dit Mme Freudstein, d’autres enfants l’attendent.

C’est curieux comme la fin du film, lorsque la petite fille tend la main au garçon pour l’aider à sortir de la tombe, me fait penser à celle de La Mort aux trousses

Oui, lorsque Cary Grant sort sa compagne du précipice ? J’adore faire des citations, c’est un jeu pour moi et dans L ’Eventreur de New York, il y en aura plusieurs en rapport avec Huston ou Hitchcock.

Et il y a cette scène étonnante où le spectateur est persuadé de voir l’enfant conduire lui-même la voiture !

Oui, on voit le petit garçon au volant de la voiture en train de jouer et on s’aperçoit qu’il est en train de foncer avec elle à toute vitesse jusqu’à ce que la caméra recule et que l’on s’aperçoit que la voiture était en fait arrêtée et que les voitures roulaient dans l’autre sens, créant ainsi cette illusion ! Mon monteur n’avait pas compris l’humour de la situation et a failli couper la scène…

La fin de La Maison près du cimetière est cruelle…

Oui, le public n’a pas très bien entendu le son, car normalement, on doit entendre des lamentations de la créature que les parents prennent pour celles de leur enfant : le monstre a un corps fait à partir notamment des enfants qu’il a tués. C’est pourquoi il a la voix de ces enfants et attire ainsi les adultes !

Où le film a-t-il été tourné ?

A Concord, un petit pays près de Boston où se trouve cette maison, qui est un institut pour handicapés physiques.
Je tiens à dire que pour moi, il y a surtout deux thèmes-clés dans ce film : celui des enfants, mais aussi celui de ce monstre qui, tels les extra-terrestres de L’Invasion des profanateurs de sépulture, reste en vie en mutilant des corps humains, se nourrit du corps des humains.

Parlons à présent de L ’Au-delà ; ce film se voulait-il une suite de Frayeurs ?

Non, pour moi, c’est un film artaudien absolu. J’ai personnellement connu Antonin Artaud, il m’a regardé avec ses yeux fous, il y a trente ans. Mon idée était de faire un film absolu, avec toutes les horreurs de ce monde. C’est un film sans intrigue : une maison, des hommes et des morts qui viennent de l’Au-delà. Il n’y a pas de logique à chercher dans ce film qui n’est qu’une suite d’images.

Artaud avait déclaré dans Le Théâtre et son double : « Il n’y a as de cruauté sans conscience appliquée, c’est la conscience qui donne à tout acte de vie sa couleur de sang, la nuance cruelle, étant entendu que la vie, c’est toujours la mort de quelqu’un… »

Absolument ! La vie, c’est toujours la mort de quelqu’un ! J’avais beaucoup étudié Artaud avant qu’il en redevienne à la mode en Italie : ce film, comme la plupart de tous ceux que j’ai réalisés, est un hommage à ce concept artaudien. En outre, l’horreur devient telle lorsqu’on en a conscience, ce qui justifie la présence de scènes atroces dans mon film. Le spectateur a toujours la conscience de l’horreur de ces images, ce pour répondre aux gens qui parlent de gratuité à l’égard de mes films : il y a toujours un jugement de valeur dans mes films sur cette horreur, puisque le spectateur est toujours épouvanté, donc toujours en réaction contre l’existence même de ces crimes.

Artaud dit également quelque chose qui commente bien L’Au-delà : « Un langage à partir de signes, de cris, et non de mots : une pression directe sur les sens. »

Vous rendez-vous compte qu’il a écrit ceci il y a cinquante ans ? Dans cette phrase est contenu l’essence même du cinéma, contrairement à ce que l’on pourrait penser, Artaud était finalement plus un homme de cinéma que de théâtre.

Qu’est-ce que la Mer des Ténèbres dans L’Au-delà ?

C’est notre enfer intérieur, un monde immobile où chacun des horizons est identique, un monde absolu, encore une fois artaudien. Je pense que chaque homme choisit son propre enfer intérieur qui correspond à ses vices cachés. Je n’ai donc pas peur de l’Enfer, puisque l’Enfer est déjà en nous. C’est curieux, je ne peux imaginer l’existence du Paradis, et pourtant je suis catholique. Peut-être après tout, Dieu m’a-t-il quitté ? En revanche, j’ai envisagé souvent l’Enfer, étant donné que nous vivons dans une société telle que seul l’Enfer est perceptible. L’Enfer, c’est aussi la frustration, comme cette pièce de Sartre, Huit-Clos : une chambre dans une auberge, avec trois personnes. A l’époque, cela m’avait choqué, mais finalement, je m’aperçois à présent que c’est le Paradis qui est indescriptible. L’imagination est bien plus forte sous la pression des terreurs de l’Enfer.

Il n’y a pas moyen d’exorciser cet enfer ?

Non ! (Rires). Non, j’ai souvent tenté d’exorciser mon enfer personnel sans y parvenir, alors maintenant, je le montre dans mes films. Mais vous savez, pour moi, le plus tragique dans La Maison près du cimetière, ce ne sont pas les gens qui meurent, mais cette petite fille qui va ouvrir à son jeune ami les portes du monde des morts, qui va sauver, cela est vrai, l’enfant de la normalité, représentée par ce monstre qui a tué les parents du garçonnet, mais aussi plonger ce dernier dans l’au-delà. En fait, ces enfants ne meurent pas vraiment : on ne peut tuer les enfants, ils vivent dans un autre monde dans lequel l’adulte ne peut rien. Je crois que c’est là ce qu’il y a de plus terrible : la maison reste là pour accueillir d’autres visiteurs…

Le Bien et le Mal n’existent pas pour vous, vous qui vous dites catholique ?

Oui, cela peut paraître étrange, mais je suis plus heureux que quelqu’un comme Bunuel qui dit chercher Dieu ; moi, je l’ai trouvé avec le malheur des autres. Mon tourment est plus douloureux que celui du grand Bunuel. Lui cherche toujours désespérément le pourquoi de Dieu, tandis que je me suis aperçu que Dieu est un dieu de souffrances. Je me suis toujours passionné pour ce film de Bunuel, Eclipse vers le chemin de Compostelle qui est un film sur l’hérésie, un phénomène typiquement catholique et la clef des problèmes de Bunuel : c’est un hérétique en quête de Dieu. Je suis catholique et en fait, toute la littérature catholique est terriblement angoissée. Prenez votre écrivain, Mauriac, sans parler de quelqu’un comme Dante. J’envie beaucoup les athées, ils n’ont pas ce problème du doute…
C’est vrai que mes films sont terriblement pessimistes. Ainsi, les protagonistes de l’Au-delà deviennent aveugles, car leur vue n’a plus raison d’être dans ce monde sans vie. Mais l’humour et la tragédie se rejoignent, de toutes façons : j’étudie l’horrible comme Bergson le rire. Lorsque l’on accentue un peu l’aspect tragique, cela peut avoir un effet comique ; finalement, le fait d’avoir réalisé tant de comédies à mes débuts m’a beaucoup servi pour mon vrai cinéma, celui du fantastique.

On a aussi parlé d’Inferno à propos de La Maison près du cimetière

Pourtant mon film ne fonctionne pas suivant la même thématique, mais je ne cache pas qu’il existe des rapports entre Argento et moi : lui aussi a étudié Artaud et ces deux films n’ont aucune structure, ce qui est intentionnel, comme ce compositeur, Mahler qui, à la différence des autres, y compris Beethoven, n’a jamais voulu respecter un chef, sinon lui-même ou la nature. Nous avons tenté de faire en Italie des films purement thématiques, sans intrigue. Et de tous mes films, L’Au-delà est celui où l’histoire est la plus inexistante parce que, comme Inferno, c’est un film qui refuse les conventions, les structures traditionnelles du cinéma. La Maison près du cimetière parle d’un monstre, L’Eventreur de New York est un thriller hitchcokien, Frayeurs un film sur le mal, L’Enfer des zombies un film sur la mort, le macabre. Je crois intéressante la tentative que j’ai essayée avec L’Au-delà qui est un film que j’affectionne particulièrement.

Ce film étant une suite d’impressions, de sensations, il est donc normal que l’histoire n’y ait pas de place prépondérante !

Oui, et les gens qui critiquent ce film pour cette raison n’ont pas compris qu’il n’y a que l’image qui prime dans ce film qui se reçoit spontanément. On dit toujours que c’est très difficile d’interpréter un film comme L’Au-delà sans ficelles, mais c’est très facile d’en interpréter avec ficelles. N’importe quel imbécile peut comprendre un film comme ceux, par exemple, de Molinaro. Même New York 1997, le thriller SF de John Carpenter, est facile à comprendre tandis que L’Au-delà – et je reconnais que l’Inferno de Dario Argento en est aussi une tentative – est un film absolu.

L’Au-delà comprend des trucages superbes, mais pourquoi cette séquence des araignées ratées ?

Tout simplement parce que pour les scènes en gros plan, nous ne pouvions pas utiliser la tête en plastique, l’acteur ayant refusé que de véritables araignées se promènent sur son visage…

Parmi tous les films que vous avez réalisés, lequel demeure votre préféré ?

C’est un film que vous ne connaissez pas en France, il s’appelle Beatrice Cenci. Je l’ai tourné en 1969, c’est un film pour lequel j’ai beaucoup souffert car je l’ai réalisé alors que j’avais de douloureux problèmes personnels. C’est sans doute celui de mes films qui me tient le plus à cœur, mais c’est un film maudit ; il est sorti dans peu de pays, n’a eu pratiquement aucun succès et toutes les copies sont à présent introuvables.

Y a-t-il un sujet que vous rêviez de mettre en scène ?

Oui, j’ai un projet depuis des années, mais qui n’aboutit jamais. Il s’agit d’un film que je veux appeler Noir Romain, une étude sur le pouvoir ; non pas une dénonciation de l’idée même de pouvoir (cela a été fait trop souvent et n’offre plus aucun intérêt) mais plutôt un thriller dans le style des Chandler, Hammet, Irish, se déroulant dans la Rome ancienne, à la fin de l’Empire. Une nouvelle interprétation de la chute de l’Empire Romain tourné sur le mode d’un film policier… Mais, bien sûr, il est très possible que dans l’immédiat, je sois forcé de tourner un tout autre film. René Clair, à qui on avait demandé ce qu’il comptait faire après Le Silence est d’Or, avait simplement répondu : « un autre film. » Et pour nous, réalisateurs, le problème est là : pouvoir arriver encore et toujours à tourner.

Le cinéma, c’est ce qu’il y a de plus important dans votre vie ?

J’ai ruiné ma vie pour le cinéma : je n’ai pas de famille, pas de femme, juste des filles. Toutes les femmes m’ont quitté parce que je ne cesse de penser à mon métier. Mes seuls hobbies sont mes deux chiens et mon bateau à voile. C’est très important pour moi, le travail. John Ford avait dit un jour : « Je sais que dans les bars, on dit du mal de moi. Mais moi, je suis en train de tourner dans les montagnes avec les indiens tandis que les autres parlent… »

Si vous en faisiez pas de cinéma, vous en feriez encore ?

Oui ! Je suis heureux de faire du cinéma, même si on commence à me connaître alors que je suis, non pas à la fin de ma vie, mais disons, en bon chemin. Je pense que si je renaissais, comme tous les réalisateurs, je ferais à nouveau du cinéma.
Je crois que pour moi, seul le cinéma est important, c’est mon métier, ma vie.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation d’Alain Schlockoff

One Comment

  1. Jean-Pascal Mattei

    Encore un excellent entretien, dans un registre cette fois-ci « mystique », ou, plus simplement, religieux. Explorateur infatigable de notre « vallée de larmes », Fulci partage avec Lynch cette passion absolue pour le cinéma, qui mit sa vie privée en ruines (Isabella Rossellini se plaignait de devoir le partager avec une invincible maîtresse !). Et La Voie lactée, en effet, demeure un passionnant film sans équivalent, même pour un athée !

Laisser un commentaire