Lucio Fulci

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Interviews / Interviews autour de Fulci

Lara Lamberti

Lara Lamberti [Lara Naszinski] – actrice (Aenigma)

Née à Marseille de parents artistes, Lara Lamberti grandit en Allemagne avant de se faire connaître dans le cinéma populaire italien des années 80. A la fin de la décennie, elle poursuit principalement sa carrière à la télévision où elle tourne sous la direction de Sergio Martino, Duccio Tessari et Carlo Lizzani. Dans les années 90, elle apparaît dans plusieurs séries télévisées en Allemagne. En 2005, elle crée sa maison de production Alshain Pictures S.L. à Barcelone en Espagne et publie un premier roman en 2013, Mystica – The Beginning.
C’est avec plaisir et sérénité que l’actrice a accepté de se remémorer le tournage d’Aenigma et sa relation avec Lucio Fulci.

J’ai entendu que vous vouliez d’abord être réalisatrice de documentaires alors pourquoi (et comment) êtes-vous devenue actrice ? Je crois que votre premier rôle fut dans La Maison de la terreur (La Casa Con la Scala nel Buio) de Lamberto Bava…

Mon premier rôle était dans un film historique en Allemagne, Joseph Süss Oppenheimer, réalisé par Rainer Wolffhardt. J’étais encore à l’école d’art dramatique. Puis, j’ai eu mon premier rôle en Italie dans le film Il Ras del Quartiere avec Diego Abatantuono. Je crois que La Maison de la terreur est mon troisième film, mais je n’en suis même pas certaine.
Alors oui, je voulais devenir réalisatrice de documentaires, je voulais filmer les animaux. Mais il n’y avait pas vraiment d’écoles de cinéma à l’époque en Allemagne de l’ouest où j’ai passé une partie de mon enfance. Alors, je me suis dis que je pourrais commencer en tant qu’actrice, puis quitter le pays et réaliser mon rêve ailleurs, en étant déjà dans le milieu. Cela a fonctionné et suis parti en Italie, mais ma carrière a décollé et je n’ai plus eu le temps de faire quoi que ce soit d’autre. Je suis revenue à mes projets initiaux bien plus tard dans ma vie.

Pourquoi avez-vous utilisé votre vrai nom ? Il aurait été plus facile pour vous d’utiliser le pseudonyme Kinski choisi par votre oncle et votre cousine. Ils étaient déjà connus dans le milieu au début des années 80.

Je ne voulais pas que les gens aient l’impression que je bâtissais ma carrière en utilisant mon oncle et ma cousine. Et puis je ne me sentais pas légitime d’utiliser le nom Kinski parce que je ne connaissais personne de cette famille. Mais j’ai parlé à mon agent de mon lien avec la famille Kinski et, bien évidemment, le temps passant, je suis devenue « la cousine de  Nastassja Kinski » dans chaque article de presse. Je suis devenu « la Polonaise » bien qu’une grande partie de ma famille soit méditerranéenne. Je ne voulais pas ça du tout, alors j’ai décidé d’abandonner le nom Nakszynsky et j’ai commencé à travailler sous le nom de ma famille italienne.

Comment avez-vous obtenu le rôle d’Eva dans Aenigma ?

J’étais déjà connue en Italie et la maison de production d’Ettore Spagnuolo a appelé mon agent pour me proposer le rôle. Rien d’exceptionnel.

Lucio Fulci avait… du caractère. Quelle fut votre première impression du personnage ?

Je ne m’en souviens pas, vraiment. Je me rappelle qu’il était un peu timide avec moi. Il me tenait en haute estime, pareil avec Jared.

Connaissiez-vous son travail avant de travailler avec lui ?

Non, honnêtement, non. Je n’ai jamais trop aimé les films d’horreur.

Lucio Fulci vous a-t-il parlé de l’histoire ou de votre personnage pour vous préparer au rôle ? Parce que c’est une chose établie qu’il était plus impliqué dans l’aspect technique de ses films.

Je ne pense pas qu’il nous aidait avec les personnages. Il était en effet plus technique. Cependant, oui, nous avons parlé des personnages avant le tournage. Quand nous tournions, il nous disait quoi faire plutôt que de s’attarder sur les émotions. Ça le rendait fou quand les gens ne fonctionnaient pas techniquement comme il le souhaitait. Il avait la scène dans sa tête et elle devait être exécutée ainsi. Dans le cadre qu’il créait grâce à son imagination technique, nous avions cependant beaucoup de liberté. Certains acteurs n’étaient pas à l’aise avec cette façon de travailler. Je me rappelle d’une jeune fille  avec un petit rôle qui suivait sa propre idée du travail. Elle cherchait une expression qui vient des émotions, tandis que Lucio voulait juste la voir accomplir les actions comme il les avait conçues. Il se moquait de savoir si elle avait trouvé les véritables émotions en elle ou pas.  Leur confrontation se terminait chaque jour par Lucio qui criait et la fille qui pleurait. Son personnage a beaucoup été coupé au montage final.

Fulci détestait le cadreur, Danijel Sukalo. Une fois, il a dit qu’à cause de lui, vous aviez dû refaire 36 fois une prise. Ressentiez-vous de la tension entre eux sur le tournage ?

Honnêtement, je ne m’en souviens pas. Il y avait beaucoup de tension sur le plateau. La jalousie et d’étranges intriques faisaient partie du tournage dès le premier jour. Il y avait toujours de la tension à cause de Lucio lui-même et de la manière dont il traitait les gens, à cause de la jalousie que certains ressentaient pour d’autres pour qui ça se passait bien. Il y avait aussi de la jalousie à l’intérieur même de l’équipe technique.

Fulci était-il plus indulgent avec sa propre fille, Camilla, qui était sa script ?

Absolument, oui.

Les producteurs ont-il essayer d’intervenir lors du tournage ?

Nous étions en Yougoslavie sans interruption. Les producteurs étaient à Rome et ne sont pas venus nous voir. Alors il n’y a pas eu d’intervention sur le tournage. Mais je sais que les rushes étaient régulièrement envoyées à Rome pour que le tout soit vu par les producteurs.

La production a commencé le 3 novembre 1986 à Boston. Vous êtes ensuite allés à Sarajevo, en Yougoslavie…

Je n’étais pas à Boston. J’ai seulement connu la Yougoslavie.

Vous souvenez-vous des différents lieux à Sarajevo ?

Je ne me souviens pas des noms. Nous avons principalement travaillé dans une grande demeure qui a servi pour l’école. Quasiment tout a été tourné là-bas à quelques exceptions près comme la scène avec le Dr. Anderson dans la voiture et celle du jardin. Je ne sais pas à qui appartenait la demeure…

Etait-ce difficile de travailler avec des acteurs ne parlant pas la même langue que vous ?

Je me souviens que nous travaillions surtout en Anglais, peu importe si les gens le parlaient bien ou pas. J’avais déjà été dans des productions « babéliques » et en avais l’habitude. Le fait que je parle six langues couramment était toujours bienvenu pour avoir les dialogues joués dans la même langue. Cependant, je dois dire que la concentration qui devrait servir au jeu va dans les problèmes de langues si on fait ça. C’est certainement plus compliqué que de jouer simplement dans une langue – aussi parce que chaque langue change le personnage qu’on interprète.

Quelle a été la scène la plus difficile à tourner ?

La scène de la crise de nerf était techniquement compliquée. Je n’avais qu’une seule prise parce que je devais détruire la chambre entière. La production n’avait pas les éléments du décor en double. Alors Lucio m’avait averti que si l’action se passait mal, ce serait un désastre. Il y a eu de la tension quand nous avons répété. Je devais jouer sans heurter les objets. Ensuite nous l’avons fait pour de vrai mais il y a eu un problème avec la caméra. Je me souviens de la colère de Lucio. La second fois tout a fonctionné.
La scène du cauchemar a été difficile pour d’autres raisons. Je n’ai jamais aimé être nue devant une caméra et je n’aimais pas le sens de la scène ainsi que tout ce sang. Encore une fois, c’était une scène technique et je ne trouvais pas l’émotion adéquat. J’ai été aidée par le directeur de la photographie qui m’a minutieusement expliqué en amont ce qu’ils allaient faire, l’intention de la scène et ce que le public verrait. Il avait la sensibilité qui faisait défaut à Lucio.

Est-il vrai qu’une suite a été écrite dans les années 2010 ?

En 2011, le peintre et auteur José Da Silveira a écrit une suite d’Aenigma intitulée Aenigma – The Return, avec Jared Martin et moi au casting. Le projet est toujours en attente de concrétisation.

Quand vous pensez à Fulci aujourd’hui, que vous vient-il en premier à l’esprit ?

Lucio était amer et solitaire. Il avait une forme très rare d’hépatite – aujourd’hui, je dirais que c’était une hépatite C – et il ne pouvait pas vraiment manger. Il s’asseyait à sa table avec sa fille et avalait son riz sans condiment alors que nous nous amusions tous, mangeant de bons plats, tous assis ensemble. Je en sais pas si cette solitude était un choix ou pas et s’il avait déjà tristement accepté cette part de lui. Je ne me souviens pas de l’avoir vu sourire une seule fois. Mais je me rappelle aussi de Lucio comme d’un réalisateur très professionnel, un gros travailleur qui était très respectueux et poli lorsqu’il était convaincu du talent et de l’expérience de quelqu’un. Je n’ai jamais eu de problème avec lui. Pour moi, ce fut un plaisir de travailler avec lui et beaucoup de ses trop rares sourires m’étaient adressés. J’étais si jeune à l’époque. Avec le recul, je dois dire qu’il aurait peut-être valu le coup d’essayer de briser cette carapace d’homme sévère pour mieux le connaître. Je regrette de ne pas l’avoir fait.

Site Officiel
Portrait de Lara Lamberti : Roberto Ferrantini

One Comment

  1. Jean-Pascal Mattei

    Bref mais bon entretien, dont on retiendra surtout le dernier paragraphe, qui dit beaucoup – sur Fulci, sur la colère, la mélancolie et l’aboutissement formel de ses films – en peu de mots…

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