Lucio Fulci

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Interviews / Interviews de Fulci

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Le maître du hard-gore

  • Le 01 février 1988
  • Par Marc Toullec
  • Paru dans Impact n°13
  • 1

Votre dernier film, Aenigma, nous a beaucoup déçus…

Je tiens d’abord à vous parler d’un film que beaucoup ont vu et peu ont compris. Il s’agit de La Mouche de David Cronenberg. Une œuvre très intéressante où l’on retrouve La Métamorphose de Kafka. C’est une œuvre où les sentiments comptent : on a pitié de cet homme devenant un insecte. On a aussi pitié de l’héroïne de AenigmaAenigma évoque un peu le film noir. Il va dans le sens d’un cinéma plus construit, plus soft. Quand vous dîtes qu’il n’est pas parfait, je suis d’accord. Mais le film d’horreur change. Moi, je suis un vieux metteur en scène ; Clive Barker, le jeune auteur de Hellraiser, le dit aussi.
Son opinion : le fantastique a besoin de personnages, d’histoires, d’une dimension plus philosophique. La Mouche marque une friction entre l’ancien et le nouveau fantastique ; Aenigma est aussi contaminé par ces deux gènes. J’ai prouvé que je pouvais changer mon style. Il est possible que j’ai fait au moins un heureux. Je pense continuer dans cette voie, notamment avec The Black Light, l’histoire d’un homme et de son remords, une histoire terrible mais pas trop sanglante. Le marché américain n’aime pas les films excessivement gore. C’est pour cette raison que Aenigma s’est bien vendu là-bas.

Curieusement, la photographie de Aenigma n’est pas très attrayante, contrairement à celle de vos précédents films qui sont très beaux visuellement…

Le caméraman, un Yougoslave, était un idiot absolu. Par sa faute, on a dû recommencer 36 fois une prise. La réussite des films d’horreur ne vient pas de l’argent investi mais de l’équipe technique. Pendant cinq ans, j’ai travaillé avec les mêmes gens. Maintenant, Sergio Salvati, mon directeur de la photo, collabore avec Empire, mon caméraman est devenu l’opérateur de Bernardo Bertolucci, Giannetto de Rossi, le maquilleur, va bientôt réaliser un film aux Etats-Unis pour Dino de Laurentiis…

Une séquence de Aenigma reste néanmoins dans toutes les mémoires, celle des escargots…

L’actrice était nue, couverte de bave. Nous avons tourné cette séquence en trois heures. Nous avons utilisés deux cents kilos d’escargots que nous n’avons pas mangés par la suite. L’idée de cette scène m’est venue, notamment, à la lecture d’un roman de Patricia Highsmith. Quant à l’idée d’Aenigma, elle m’a été donnée par quelqu’un dont le cœur s’est arrêté de battre pendant trois minutes. Son esprit l’a quitté et il s’est vu sur son lit d’hôpital avec, auprès de lui, le docteur qui l’a opéré. Mais le producteur a modifié le script de départ. C’est devenu un peu Carrie, un peu Patrick, un peu Fulci…

Vous avez débuté avec des comédies comme un mystérieux I Maniaci

Ce sont des films comiques interprétés par le duo Franco Franchi/Ciccio Ingrassia. Ces films demeurent typiquement italiens et n’on guère été exportés. Quant à I Maniaci, ce n’est pas un film d’horreur mais encore une comédie. Barbara Steele a accepté de le tourner parce qu’elle ne travaillait presque pas après son rôle dans le 8 ½ de Fellini. Il s’agit d’un film à sketches, une imitation des Monstres de Dino Risi. Le titre, c’était en prévision de mes futures activités !

Le western Le Temps du massacre vous a permis de quitter le domaine de la comédie…

Oui, je voulais passer à autre chose. Le Temps du massacre fut une véritable aventure. Pour le financer, j’ai dû hypothéquer ma maison et trouver l’aide de plusieurs amis. Arrivé à la moitié du tournage, nous n’avions plus d’argent pour continuer. Nous avons trouvé alors un partenaire, le futur producteur de Ludwig de Visconti ! Lui, il désirait pour le rôle principal un acteur qui travaille surtout en Espagne, George Martin. Moi, je tenais à Franco Nero. Il n’était pas cher à l’époque : quatre millions de lires. Le film l’a lancé ; ce fut un succès considérable. J’ai choisi Franco Nero tout simplement parce que je l’avais vu sur une photo d’un film de Pietro Pietrangeli. J’ai pensé un moment utiliser un pseudonyme, Richard Gayde ; Sergio Leone était bien Bob Robertson pour Pour une poignée de Dollars ; je suis vite revenu à Lucio Fulci !

Par la suite, vous avez touché à deux reprises au western…

Historiquement, Sella d’Argento est le dernier western italien. Je l’ai réalisé à la demande de Giulianno Gemma. Les 4 de l’apocalypse a été un flop. J’adore le final et l’aspect visuel du film inspiré des peintures de Remington, sans copiage toutefois. Il a été très mal exploité à cause de sombres histoires de droits, de copyright. C’est en quelque sorte un « road movie » de l’Ouest. Toute la photographie a été faite en contre-jour ; Sergio Salvati a composé des images légères transparentes. Parmi les acteurs, j’avais la future femme de Peter Sellers, Lynne Frederick. Le tournage, partagé entre l’Italie et l’Autriche, fut très coûteux. Des critiques m’ont dit : « C’est un film formidable », mais je pensais avoir fini ma carrière alors. L’échec des de l’apocalypse m’a obligé, pendant deux ans, à travailler pour la télévision au côté de Franco Franchi. 

Un de vos plus graves échecs commerciaux est sans conteste Beatrice Cenci, un flamboyant mélodrame historique…

Beatrice Cenci est un film maudit. Je l’adore : il a rapporté en Italie deux lires sept cents ! Il était vraiment en avance sur son époque ; toute la violence était intériorisée. Je suis allé le voir en deuxième exclusivité dans un cinéma avec un ami producteur. Quelqu’un dans la salle a crié : « A mort le metteur en scène ! » J’avais pour ce film un chef opérateur que j’ai retrouvé ensuite sur Croc Blanc, un inconnu très doué. Aujourd’hui, en Italie, le film a complètement disparu de la circulation, y compris la cassette vidéo qui a aussi très mal marché. Je cherche Beatrice Cenci, j’ai même offert une récompense pour qui me le ramènera. Le cinéma est fait de moments plus ou moins heureux. Et puis le public, c’est notre patron. Si je ne travaille pas pour le cinéma, qu’est-ce que vous voulez que je fasse ? Beaucoup de metteurs en scène en Italie et en France ne travaillent plus. A cause de problèmes d’argent, et d’autres, d’ordre psychologique.

Vous avez connu votre période giallo, polars horrifiques très en vogue dans les années soixante-dix…

Le premier, Perversion Story, réalisé à San Francisco, a l’avantage d’un dénouement très original. Nous avons tenté une expérience, une chose nouvelle : vingt minutes avant la fin, l’identité de l’assassin est révélé. Argento a d’ailleurs été choqué par ce final. Il disait : « Pour la première fois, nous avons un tueur que nous connaissons et rien ne peut l’empêcher d’agir. » Ce type de machination très bien organisée a demandé un scénario sur lequel nous avons beaucoup peiné. Les Salopes vont en Enfer part d’un rêve. Un homme rêve de tuer Florinda Bolkan mais c’est lui-même qui est tué et de la même manière. Il s’agit d’un thriller onirique avec une pinée de sexualité. Pour ce film, Carlo Rambaldi a mis au point des chiens écorchés vifs qui m’ont valu des démêlés avec la justice ; les juges pensaient qu’ils étaient vrais ! Dans La Longue nuit de l’exorcisme, j’ai retrouvé Florinda Bolkan. Fait inhabituel pour un giallo, il se déroule à la campagne, dans le sud de l’Italie.

Une question s’impose. Pourquoi tant de violence dans vos films ?

Parce que je suis un non violent ! Le plus gros succès de ma carrière est un film pour enfants ; Croc Blanc, tourné en Autriche dans la neige. Un calvaire. Luchino Visconti disait une fois : « Un bon metteur en scène est comme un cheval. Il doit pouvoir courir toues les distances. » Mes films sont violents mais pas racistes. J’ai lutté toute ma vie contre le racisme. Je n’aime pas ces polars avec Maurizio Merli que réalisent les spécialistes Umberto  Lenzi et Stelvio Massi. Ils prônent le fascisme. J’ai refusé d’en tourner. Même sans une lire pour manger, j’aurais toujours refusé. C’est le seul genre que je n’ai pas touché avec le film d’amour. Il est probable que je comprends pas l’amour (rires)…

Pourtant, Le Miel du Diable conte une love story pour le moins tourmenté…

Le Miel du Diable est une histoire d’amour désespérée. Comme chez Harold Pinter, les personnages hurlent leur désespoir à la face du monde et de l’autre. J’aime beaucoup le final montrant, dans un panoramique, le couple faisant l’amour. J’ai tourné Le Miel du Diable près de Barcelone avec très peu d’argent et une équipe très sympathique, après une longue maladie qui m’a tenu au lit pendant un an. Dommage que les actrices ne soient pas très bonnes.

Bizarrement, vous avez mêlé la comédie au fantastique dans un Dracula…

Oui, dans Il Cavaliere costante Nicosia demoniaco ovvero Dracula in Brianza. Le film est inspiré d’un sujet de Pupi Avati. Il a travaillé avec moi sur le scénario, histoire d’un Dracula homosexuel et d’un industriel qui pense être devenu un vampire. C’est un film  que je trouve très amusant, surtout grâce à l’acteur Lando Buzzanca, quelqu’un de très discipliné. J’adore les acteurs disciplinés.

Vos films de zombies sont venus à la suite de L’Emmurée vivante, par contre un échec commercial…

J’aime beaucoup L’Emmurée vivante. Dans un petit cinéma de Los Angeles, il est devenu un véritable film culte, il a été programmé pendant cinq ans. Ne confondez pas mes zombies avec ceux de George Romero. Alors que j’étais à la télévision, Fabrizio de Angelis m’a appelé pour réaliser L’Enfer des zombies pour un petit salaire de cinq millions de lires. Le film a marché, ce qui a permis au producteur de me donner l’argent pour deux autres titres, La Maison près du cimetière et L’Au-delà. J’ai réalisé Frayeurs pour Luciano Martino. Si je n’avais pas lu Variety, jamais je n’aurais connu le succès de L’Enfer des zombies. A l’origine, le producteur pensait que ce serait un échec ; les spectateurs riaient lors de la séquence de l’écharde dans l’œil. Mais j’ai bien vu Les Frissons de l’angoisse d’Argento dans une salle riant continuellement !

Impossible de s’esclaffer, en revanche, à la vision de L’Au-delà

En effet. L’Au-delà est un film sans intrigue, arthaudien. Une personne vient habiter dans une maison construite sur les portes de l’enfer ; voilà, le scénario s’arrête là. Il n’y a aucune logique. C’est d’ailleurs ce que j’ai fait remarquer à l’auteur du scénario, Dardano Sacchetti. 

Dardano Sacchetti est l’un des scénaristes les plus prolifiques d’Italie. Il écrit cinq ou six scripts par an…

Dîtes plutôt dix ou douze. Il a de bonnes idées mais ne possède aucun sens de la construction, de la progression. Il trouve toujours de bons sujets mais n’a pas le temps de les peaufiner. Il travaille souvent avec sa femme, Elisa Briganti. A eux deux, ils forment une société. 

Vous avez souvent travaillé avec Sacchetti, notamment sur un projet inabouti, Blastfighter

Nous y avons travaillé simplement parce que le titre plaisait au producteur. Blastfighter devait, comme New York 1997, se dérouler après la troisième guerre mondiale, après la destruction de l’Italie. Sacchetti en avait écrit le scénario avec moi puis il m’a volé le film. Je lui ai d’abord dit : « Déposons l’histoire auprès de la société des auteurs. » Il m’a répondu : « Ok, je m’en occupe. » Deux ans après, on me téléphone pour m’annoncer qu’il avait vendu le scénario au producteur Luciano Martino. Depuis, Dardano Sacchetti et moi ne travaillons plus ensemble.

Sacchetti est un collaborateur de Dario Argento. Comment estimez-vous ce dernier ?

Argento a un charisme formidable et un bon attaché presse sous la main. Les jeunes sont avec lui. Contrairement à Hitchcock qui instaurait atour de lui un climat agréable, Dario Argento impose son type de cinéma avec un visage sinistre. C’est un grand artisan qui pense être un artiste. Hitchcock lui-même disait être un artisan. Argento annonce : « Je suis un auteur. » J’aime beaucoup ses films mais pas tellement le personnage. Un jour, un journaliste m’a demandé : « Quelle est la différence entre vous et Argento ? » J’ai répondu : « Son film va rester 19 semaines à l’affiche, le mien quatre semaines. » Opéra a coûté huit milliards de lires, sept millions de dollars ; Aenigma n’a pas dépassé les 450 millions de lires !

Tous vos films ne sont pas très connus. Parlez-nous de La Guerre des gangs

La Guerre des Gangs a été produit par des contrebandiers de Naples. C’est un film sur ces bateaux bleus qui trafiquent de la cigarette. Il est violent, cruel ; j’ai voulu l’intituler Violence mais le contrebandier qui l’a produit m’a dit : « Non, non. Nous l’appellerons Luca Il Contrabandiere par ce que le héros se nomme Luca et qu’il est contrebandier ! » Ce film a fait le plus grand succès jamais enregistré dans un cinéma à Naples. Je le considère comme un bon film noir, plein d’inventions et inspiré d’un scénario dû à deux journalistes bien documentés. Les contrebandiers nous avaient donné un bon budget. La productrice qui touchait directement l’argent liquide de la main à la main ne m’a pas payé ! Sur le tournage, j’ai mangé avec des personnages dont on retrouvait ensuite le portrait dans tous les journaux d’Europe !

Conquest a connu une carrière limitée…

Je l’ai fait avec Jorge Rivero, le Giuliano Gemma mexicain. Le film évoque les premiers âges de la terre, l’après guerre du feu. Tout a été filmé en Sardaigne avec une forte contribution espagnole. La photographie a été très compliquée à mettre en place : tout en contre-jour, en couleurs inhabituelles… J’ai connu quelques problèmes judiciaires avec le producteur qui a, plus tard travaillé avec Mario Monicelli.

Manhattan Baby est encore moins connu…

N’en parlons pas trop. Je l’ai tourné avec Fulvia parce que je devais honorer un contrat. Seule la scène où les oiseaux reviennent à la vie m’a intéressé. C’est la seule bonne séquence du film.

2072 – Les Mercenaires du futur est, à sa manière, votre seul péplum. Un péplum futuriste.

2072 a été conçu pour le marché américain et non pour une exploitation en Italie. Il était vendu avant même d’être tourné. Le producteur italien a conclu l’affaire avec le distributeur vidéo américain qui lui a avancé l’argent. Comment voulez-vous que les Romains puissent s’imaginer la Rome de demain ?

Vous avez collaborez à un film américain, The Curse, de David Keith.

J’en suis le producteur associé mais, en fait, j’ai filmé à Rome toutes les séquences comportant des effets spéciaux. Toutefois, tous les noms ont été anglicisés pour le marché américain. Là-bas, j’ai un petit nom. Pour L’Au-delà, je suis devenu Louis Fuller par la bonne grâce du distributeur américain.

Et cet hommage qui vous est rendu au festival d’Avoriaz. Cela vous touche ?

Je suis un zombie et un des rares metteurs en scène de fantastique à qui on rend hommage. Généralement, l’estime vient après le décès. Regardez Mario Bava ! Et il n’est toujours pas considéré comme important en Italie. Riccardo Freda vit sans rien faire dans un tout petit appartement. Je suis le dernier survivant de cette époque, un zombie !

Zombi 3 devait être réalisé il y a deux ou trois ans. Mais vous venez tout juste de le terminer…

On devait, à l’origine, le tourner en relief. Au bout de quelques mois, la vogue de la 3D est passée. De plus, ces films ne marchaient pas très bien. Pour ces raisons, le vendeur du film a abandonné le projet.
Maintenant fini, Zombi 3 est un film que je n’aime pas. J’ai essuyé beaucoup de tracas avec la production. Elle voulait un film d’action ave des tas d’explosions alors que j’avais été appelé pour réaliser un film de zombies. Zombi 3 est une occasion perdue mais, peut-être, remportera-t-il un succès incroyable ?

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